Alain

Jadis

Alain est le boulanger de “4/Cars” à Bédarieux. « Ma boulangerie a été reconnue artisanale par la Chambre des métiers de Béziers. Je travaille avec des farines traditionnelles et sans levure pour façonner mes spécialités : diplomates, brioches à la pomme et le pain «à la clef pain» de fabrication traditionnelle du XIXsiècle… » 

Contact : 04 67 95 06 90

L’opinion sur rue

Donald Trump se régale, entre deux négociations avec le Sénat américain : il est aussi persuadé que l’opinion française, avec le mouvement des Gilets Jaunes, lui donne raison contre notre président élu. Mais sur quoi s’appuie-t-il pour affirmer cela ?

Opinion publique ? Opinion publique ? Qui peut dire où elle se trouve réellement ?
Ne cédons pas à l’esprit complotiste, mais remarquons que ce fut sans doute elle qui a le plus souffert ces dernières semaines. Des manifestants habillés de gilets jaunes ont décidé qu’ils la représentaient à eux seuls (même si entre eux ils ne sont pas d’accord sur beaucoup d’opinions) et le gouvernement a essayé par tous les moyens de la dresser contre ces manifestants. Certains responsables politiques, se prenant pour Solon, le célèbre législateur grec, lui font dire qu’il fallait garder une protection sociale et des services publics forts alors que d’autres, espérant peut-être ainsi devenir aussi légendaires que Lycurgue, le spartiate, prétendent qu’elle réclame de toute urgence une baisse draconienne des taxes et des impôts qui pèsent sur les ménages et les entreprises. Les sondages nous disent qu’elle est très attachée à l’ISF et solidaire des forces de l’ordre. En un mot, tous, invités sur les plateaux des chaînes d’information en continu, lui font dire tout et son contraire ! L’opinion publique devient ainsi le moteur de notre démocratie au gré des enquêtes d’opinion qui se multiplient ; les politiques y accordent du coup une véritable importance, au point qu’un premier ministre (je ne le nommerai pas… juste un indice : Edouard Philippe lui a succédé) a fait des sondages pour savoir ce que l’opinion publique pensait de… sa coiffure.
Qui est-elle cette opinion publique ? Où est-elle ? Qui la forge ? Qui peut réellement se targuer de la représenter ?
Commençons par l’histoire : l’état de l’opinion publique à la veille de la Première Guerre mondiale. Au printemps 1914 elle était enthousiaste à l’idée de faire la guerre. Des journaux présentaient régulièrement les Allemands comme d’horribles monstres et le niveau de détestation pour nos voisins d’outre-Rhin était considérable. Résultat : des millions de jeunes partirent en août 1914 la fleur au fusil se faire massacrer pour la plupart d’entre eux. 25 ans plus tard, l’opinion publique s’était retournée et préférait regarder Hitler monter en puissance, abandonner la Tchécoslovaquie plutôt que d’envoyer leurs enfants à la guerre. Du moins c’est ce que pensait le gouvernement français, qui avait déclenché la mobilisation générale dès 1938 mais qui refusa d’ouvrir les hostilités contre le régime nazi. Deux ans plus tard, l’opinion publique s’offrait toute entière au vainqueur de Verdun, qu’elle aimera jusqu’en avril 1944 – date de sa dernière visite à Paris – avant de le huer quatre mois plus tard.
Qui est donc cette opinion publique ? Le philosophe français Alain (1868 – 1951) qui lui a été constant dans ses opinions, c’est-à-dire pacifiste même lorsque l’opinion ne l’était pas, nous donne quelques éléments : « Chacun a pu remarquer, au sujet des opinions communes, que chacun les subit et que personne ne les forme. »(1), ce qui veut dire que l’opinion publique est ainsi construite qu’elle ne semble venir de nulle part. C’est l’opinion d’une foule, d’une masse, qui nous écrase et qui impose son point de vue. L’individu, face à la masse, n’est rien. Il peut même avoir peur s’il ne va pas dans le sens de cette masse. Cette masse se donne à un homme politique et l’adore, puis le déteste et lui met tous ses malheurs sur le dos. Le 26 avril 1944 Pétain est acclamé par la foule parisienne(2) car il vient les soutenir après les bombardements alliés. Le 26 août 1944 la même foule acclame de Gaulle et la Libération.
Comment se forme une telle opinion ? Alain suit le raisonnement suivant : Tout un chacun, pour peu que nous soyons un peu intelligents, nous nous sentons limités par la complexité des questions et des problèmes de notre société. Nous cherchons de l’aide auprès des autres. « Car, [nous disons], comme je n’ai ni la prétention ni le pouvoir de gouverner à moi tout seul, il faut que je m’attende à être conduit, à faire ce qu’on fera, à penser ce qu’on pensera. » C’est de la bonne foi. Mais cet excès de modestie est exactement le péché originel qui fonde ce monstre incohérent qu’est l’opinion publique : « Le voilà donc qui honnêtement écoute les orateurs, lit les journaux, enfin se met à la recherche de cet être fantastique que l’on appelle l’opinion publique. » Alain parle d’être fantastique, non pas dans le sens où il est extraordinaire, mais dans le sens où il n’existe pas vraiment. Ce sont des orateurs habiles qui font croire que cette opinion existe. Ils convoquent des sondages, filment une manifestation, attirent l’attention sur un événement. Le 24 novembre 2018 une manifestation a dégénéré sur les Champs Elysées à Paris. Quelques milliers de manifestants. Dans le même temps des dizaines de milliers de personnes défilent dans le calme pour les droits des femmes à Paris. Mais quel évènement va retenir l’opinion publique ? Celui que quelques orateurs ont décidé de mettre sous la lumière ! Que dire d’autre sur les sondages : une question posée au milieu de dizaines d’autres, plus ou moins orientée, posée à un échantillon parfois juste de 1000 personnes, et voilà le peuple qui s’est exprimé !
Ce ne serait rien si ces faiseurs d’opinion n’étaient pas écoutés. Ce serait déjà beaucoup si ces faiseurs d’opinion influençaient les élections. Mais au-delà de tout cela, ces faiseurs d’opinion font trembler les responsables politiques. Dès 1906 dans ses Propos, Alain fustige ces politiques frileux qui étaient attentifs aux rumeurs de l’opinion : « Les gouvernants font de même, et tout aussi naïvement. Car, sentant qu’ils ne peuvent rien tout seuls, ils veulent savoir où ce grand corps va les mener. Et il est vrai que ce grand corps regarde à son tour vers le gouvernement, afin de savoir ce qu’il faut penser et vouloir. » ; « D’où il résulte qu’un État formé d’hommes raisonnables peut penser et agir comme un fou. ». Le voilà donc le mal originaire, congénital de la démocratie : chacun cherchant à savoir ce que l’autre pense, l’opinion prend la place du peuple et exerce sa souveraineté, alors que même personne ne sait exactement qui la formule et ce qu’elle veut.

Du coup il faut se poser une autre question : à quoi sert l’opinion ?
Réponse : elle sert à détruire ceux qui s’élèvent contre elle. Le philosophe français Gaston Bachelard, qui certes s’occupait plus de la science que de politique, écrivait : « l’opinion a, en droit, toujours tort. L’opinion pense mal ; elle ne pense pas : elle traduit des besoins en connaissances »(3). Condamnation sans appel ! L’opinion n’est pas une vraie source d’idée, n’est pas l’expression d’un ressenti ou la formulation de réflexions. Ce n’est rien d’autre qu’un besoin. Mais besoin de quoi ? Bachelard écrit des besoins en connaissances. Pour comprendre cette formule, il faut remonter à la Grèce antique lorsque Platon distinguait l’opinion (la doxa), les mythes et la science. Le rôle du philosophe est de lutter contre l’opinion pour permettre à la connaissance véritable d’émerger. A cette époque, ou très peu de gens savaient lire, les intellectuels qui pouvaient écrire possédaient un pouvoir immense. Ces intellectuels, les plus célèbres s’appelaient Gorgias ou Protagoras, usaient de la rhétorique (c’est-à-dire l’art de faire de beaux discours) pour influencer l’opinion publique de la toute jeune démocratie athénienne. Leur ennemi était Socrate, qui luttait pour la reconnaissance de la vérité face à la doxa. Mais ce dernier échoua à plusieurs reprises, jusqu’à être condamné à mort par un tribunal constitué, en juin 399 av. J.-C. par près de 500 juges, tous issus du peuple. Socrate était accusé d’impiété et de corruption de la jeunesse mais l’histoire nous apprend qu’en réalité ce procès intervint après la défaite cuisante d’Athènes contre Sparte, et Socrate paya les pots cassés du retour à la paix. Il avait été le précepteur d’un soldat célèbre, Alcibiade, qui avait trahi la cité pour passer à l’ennemi. Et c’est donc là une des raisons de la condamnation à boire la cigüe (poison très utilisé à l’époque) : l’opinion avait besoin de bouc-émissaires pour expliquer la défaite. L’opinion publique avait besoin de sacrifier certains noms connus, pour calmer ses angoisses et son envie de tomber dans la guerre civile. Voilà ce que cela veut dire, des besoins en connaissances : l’opinion n’a pas besoin de connaissances, mais ce qu’elle croit connaître n’est que l’expression d’un besoin : besoin de vengeance, besoin de colère, ou de produire un contenu rassurant. L’opinion fluctue, tergiverse, se contredit, exagère, pousse à l’invective, tranche en caricaturant. Mais l’opinion a cette constante : elle exprime ce dont le peuple a besoin.
Prenons un exemple : de nombreux commentateurs politiques nous expliquent que nous vivons dans une monarchie régicide. Tous les 5 ans nous rentrons dans une période irrationnelle, enflammée, où nous choisissons parmi une douzaine d’élus celui qui doit nous sauver, celui qui a les solutions à tous nos problèmes ; un monarque à qui nous donnons les pleins pouvoirs. Puis nous passons les 5 années suivantes à vouloir le décapiter. La dernière élection n’a pas échappé à la règle : Emmanuel Macron représenta le renouveau de la classe politique, celui qui devait nous permettre de sortir (enfin!) de la crise. Au deuxième tour de l’élection, il était apparu pour l’opinion publique comme le rempart face à Marine Le Pen. Il a été adoré, ce président, admiré. Et maintenant détesté. Président des riches, dit l’opinion publique. Quel besoin caractérise cette si rapide descente aux enfers ? N’est-ce point le besoin d’un peuple d’exprimer non pas son sentiment en tant qu’individu, mais ce qui doit être l’intérêt de tous ? Le besoin est que le peuple soit entendu dans ses souffrances, qu’il soit protégé. Le peuple français, de par son histoire, s’est toujours offert à une seule personnalité qui devait incarner son destin. Cela a commencé avec Clovis, Charlemagne, cela a continué avec Louis XIV, Napoléon, Clemenceau, de Gaulle. Et nous voilà en 2019 avec notre fantasme de l’homme providentiel qui ne doit pas nous décevoir.
Que faut-il faire dès lors ? Faut-il ignorer cette opinion publique ? Faut-il ne pas en tenir compte ? Cela n’aurait pas de sens. Elle reste au fondement de ce qu’est notre démocratie moderne, démocratie représentative mais aussi démocratie d’opinion. Non, le vrai enjeu n’est pas l’opinion, mais peut-être de mieux comprendre qui est le peuple qui s’exprime ainsi. Le peuple est celui qui a élu le président de la République, qui a élu l’assemblée de députés qui siègent. Et le peuple se voit représenté par d’innombrables porte-paroles qui prétendent le représenter ; la vraie question, c’est donc : qui est le peuple ?
Par Christophe Gallique

(1) Extrait d’une série de Propos. Alain était professeur de philosophie en lycée et journaliste. Il n’a pas réellement écrit de gros ouvrages abstraits de philosophie, mais plutôt une suite de propos qui peuvent se lire soit à la suite, soit séparément les uns des autres. Ce genre de lecture, en plus d’être vivifiant, permet une lecture moins contraignante que celle de la plupart des classiques de la philosophie.

(2) Cf. https://www.ina.fr/video/AFE86002676

(3) Gaston Bachelard, La Formation de l’esprit scientifique, 1938

La valse des Porcs-épics

 

Les trains qui arrivent à l’heure n’intéressent personne disait l’autre. Cependant lire tant de mauvaises nouvelles chaque jour fait de moi un pessimiste indécrottable. Ai-je raison ? Certains philosophes pensent que oui…

Etes-vous optimiste ou pessimiste ? Voyez-vous le verre à moitié plein ou à moitié vide ? Les français sont réputés pour être des pessimistes indépassables et les événements sont là pour confirmer cette tendance. Raqqa et Mossoul, la canicule, le chômage, la famine dans le Sud-Soudan, la corruption des élites, et j’en passe… autant de motifs d’être pessimiste sur l’avenir. C’est naturel me direz-vous… notre société est si terrible ! Pourtant à bien y regarder il y a un paradoxe : la France est le 6e pays le plus riche du monde et la protection sociale fait qu’une large partie de ses habitants est protégée des aléas qui touchent la majorité de l’humanité. Nous avons accès à l’eau potable et à l’école gratuite au moins jusqu’à 18 ans. Mais nous sommes pessimistes. Nous avons un des meilleurs système de santé au monde. Mais nous sommes pessimistes. Pourquoi ? Est-ce dans la nature, le génie français ? Peut-être. Mais cela peut être aussi une marque de lucidité, d’intelligence face à la triste réalité du monde. Heureux l’imbécile, malheureux l’esprit alerte.
Preuve de cette dimension remarquable du pessimisme, la philosophie a été traversée par de grands esprits pessimistes. Deux des plus illustres furent Arthur Schopenhauer (1788-1860) et Blaise Pascal (1623-1662). Je vous propose une petite balade sur les chemins de la noirceur et de la tristesse. Commençons par notre étoile française, Blaise Pascal, génie des mathématiques et de la physique (il a mis au point la mesure de la pression atmosphérique), esprit pratique (il organisa les premiers transports en commun parisiens !), mais aussi esprit torturé par le destin de l’humanité, impasse existentielle s’il en est. Après sa mort (à 39 ans) on retrouva les brouillons d’une apologie de la religion chrétienne publiée sous le titre Pensées. Ce texte était une description de la condition humaine terrible. Voilà par exemple comment, dans un aphorisme cruel, Blaise Pascal résume notre existence : « un nombre d’hommes dans les chaînes, et tous condamnés à la mort, dont les uns étant chaque jour égorgés à la vue des autres, ceux qui restent voient leur propre condition dans celle de leurs semblables, et, se regardant l’un l’autre avec douleur et sans espérance, attendent à leur tour. » (Pensée n°199 selon le classement de Brunschvicg). Voilà ce que nous sommes donc : des êtres condamnés à mourir. Dans 100 ans, tous ceux qui lisent ces lignes auront non seulement disparu, mais seront même presque totalement oubliés – au mieux il restera une inscription sur une stèle funéraire visitée une à deux fois par an. Pas très gai, je vous l’accorde. Ce ne serait cependant rien si avant cette mort nous connaissions une vie paisible et heureuse. Non ! Nous sommes condamnés à souffrir et voir la mort des êtres que nous aimons. Destin terrible s’il en est. Destin commun à tous les êtres humains. La seule alternative, selon Pascal, est la religion et la charité (l’amour de Dieu). Sa plus que célèbre citation, « Le cœur a ses raisons que la raison ignore » est toujours mal comprise. Le cœur, pour le penseur français, n’est pas l’amour pour sa belle dulcinée mais celui que nous devrions tous avoir pour Dieu. Il diffère radicalement de ce que nous enseigne notre rationalité ; l’un est pessimiste, l’autre rempli d’espoir. Mais qu’en est-il des esprits athées ? Ceux qui ne veulent pas s’en remettre aux livres sacrés pour soulager leur mélancolie ? Ils peuvent lire Le monde comme volonté et comme représentation de Schopenhauer (1818). Mais là encore il va falloir s’accrocher pour ne pas pleurer.
Schopenhauer compare les êtres humains à des porcs-épics qui se rapprochent les uns des autres lorsqu’ils ont froid, cependant très vite leurs épines les poussent à s’éloigner. Cette allégorie décrit l’état de la société : « Ainsi, le besoin de société, né du vide et de la monotonie de leur propre intérieur, pousse les hommes les uns vers les autres ; mais leurs nombreuses qualités repoussantes et leurs insupportables défauts les dispersent de nouveau. La distance moyenne qu’ils finissent par découvrir et à laquelle la vie en commun devient possible, c’est la politesse et les belles manières.» écrivit Schopenhauer dans Parerga et Paralipomena (ce qui veut dire en grec suppléments et omissions). Cette phrase sonne comme une sentence contre les qualités altruistes des hommes. Mais elle explique aussi l’hypocrisie et la malveillance caractéristiques de certaines relations entre nous, les conflits et les bassesses humaines. A la fois nous avons besoin les uns des autres, mais nous ne pouvons pas nous supporter. La politesse est donc juste une manière de nous protéger de cette méchanceté inhérente aux hommes. Comme vous pouvez le constater Schopenhauer a le sens de la formule. Mais ce n’est pas uniquement la vie sociale qu’il vise, c’est également notre propre bonheur individuel : « La satisfaction, le bonheur, comme l’appellent certains hommes, n’est au propre et dans son essence rien que de négatif ; en elle rien de positif. Il n’y a pas de satisfaction qui d’elle-même et comme de son propre mouvement vienne à nous ; il faut qu’elle soit la satisfaction d’un désir » (Le monde comme volonté et comme représentation, §58). Explications : désirer fait souffrir car le désir naît d’un manque, d’une frustration. Le bonheur serait donc la satisfaction des désirs. Mais dans ce cas de nouveaux désirs réapparaissent, car ce qui nous intéresse n’est que la fuite face à l’ennui d’une existence qui attend la mort. Une preuve ? Regardez ceux qui ont tout. Sont-ils heureux ? Uniquement s’ils ont encore des rêves et des désirs. « La souffrance est pour tous l’essence de la vie, nul n’y échappe » (§57).
Si ainsi vous devenez des lecteurs assidus de Pascal et Schopenhauer, vous allez pouvoir vous targuer d’une réelle lucidité sur notre existence. Il ne vous manquera juste qu’à déterminer le sens profond de cette existence. Pour Blaise Pascal il s’agit d’une malédiction religieuse liée au péché originel : l’homme est misérable et trouvera son salut dans la religion. Le propos de Schopenhauer est différent : selon lui la Vie possède sa propre Volonté et se manifeste de manière inconsciente ; si nous désirons, c’est que nous voulons vivre ; si nous voulons vivre c’est que nous voulons résister à la mort pour permettre à notre espèce de perdurer. Force inconsciente qui nous pousse à nourrir les raisons de rendre intéressante une existence médiocre. Je vous laisse choisir.
Mais je vous offre aussi une autre alternative, celle de l’optimisme. Avec un troisième philosophe : Emile Chartier, plus connu sous le nom d’Alain (1868-1951). Ce vénérable journaliste et professeur de philosophie, pacifiste et rationaliste, décida de regrouper ses éditoriaux sous forme de recueil – Propos sur l’éducation, Propos sur les pouvoirs… et Propos sur le bonheur. Il y explique que le pessimisme est tout compte fait une facilité ; on se laisse aller à la mélancolie et la noirceur comme une langueur qui nous enveloppe. Face à cela l’optimisme est un exercice spirituel : « Le pessimisme est d’humeur ; l’optimisme est de volonté. Tout homme qui se laisse aller est triste, mais c’est trop peu dire, bientôt irrité et furieux. […] Dans le fond, il n’y a point de bonne humeur ; mais l’humeur, à parler exactement, est toujours mauvaise, et tout bonheur est de volonté et gouvernement. ». Il va falloir donc lutter contre notre naturel pour forger notre optimisme. Cela passe par la confiance en soi, par le calcul mesuré de l’espérance et la volonté de faire au mieux. Ne nous laissons pas aller à nos sentiments, à nos regrets, à nos remords et à nos peurs. Bien au contraire exerçons notre raisonnement pour calculer les chances que nous avons de parvenir à nos fins. Certes notre existence se réduit à quelques années passées sur terre, mais précise Alain : « D’où ce paradoxe : mieux on remplit sa vie, moins on craint de la perdre. ». Notre instinct nous pousse à l’égoïsme, mais notre intelligence peut nous pousser vers le partage avec l’autre. Face au pessimisme de Schopenhauer, précisons que l’homme est un animal doté d’une raison, cette raison lui permettant de construire un sens à son existence. Certes ce sens peut être négligeable, peut-être anodin, souvent éphémère, mais il a le mérite d’exister et de donner de la valeur à son existence. Schopenhauer pensait que cette capacité était réservée aux âmes les plus nobles, celles qui sont sensibles à la beauté pure. Alain pensait que chacun était capable de construire cette sensibilité, à condition bien entendu de ne pas s’abrutir avec des plaisirs pervers. Ne regardez plus la télé-réalité par exemple, car elle cultive notre tendance vicieuse de voyeurs. Eteignez la télévision et écoutez de la musique ; vous verrez alors votre spiritualité se développer et votre optimisme se forger malgré les mauvaises nouvelles. Quant à Blaise Pascal qui nous offre la religion comme un renoncement à notre existence misérable ? Alain répond : « Voilà par quelles remarques on sauve ce qui est à sauver dans la religion, et que la religion a perdu, j’entends la belle espérance.»1 Bien entendu l’espérance d’une existence humaine meilleure, non la négation de celle-ci au profit d’un autre monde.
Vous voilà avec les clefs de lecture. Reprenons maintenant le fil de l’actualité et voyons à quoi cela ressemble. J’ouvre une page du Midi Libre et je lis : « L’homme agressait sexuellement les femmes en plein centre-ville de Montpellier » Scandaleux et lamentable ! Les hommes seront-ils toujours des obsédés ? « Il monte sur une grue de 40m pour faire un selfie ». Idiot ! On ne peut imaginer jusqu’où on repoussera les limites de la bêtise avec ces réseaux sociaux ! Dois-je pour autant désespérer ? Non. Il faut prendre le parti d’être optimiste, devoir presque moral.

Ainsi que le conclut Alain pour nous : « J’irais même jusqu’à proposer quelque couronne civique pour récompenser les hommes qui auraient pris le parti d’être heureux. Car, selon mon opinion, tous ces cadavres, et toutes ces ruines, et ces folles dépenses, et ces offensives de précaution, sont l’œuvre d’hommes qui n’ont jamais su être heureux et qui ne peuvent supporter ceux qui essaient de l’être.»

Par Christophe Gallique