Portrait d’un mineur du bousquet d’orb : Serge Kriket
La mine c’est d’abord des hommes de caractère qui ont forgé une histoire, qui ont forgé une légende. J’ai découvert par hasard l’un d’entre eux qui vit aujourd’hui discrètement au milieu des siens au Bousquet d’Orb, il s’agit de Serge Kriket, pour l’état civil Serge Said Kriket né en Algérie. Il s’identifie à l’histoire du bassin de Graissessac.
L’exploitation du charbon dans le bassin de Graissessac remonte au XIIe siècle. Mais c’est l’Abbé Martel, qui, au début du XIXe siècle lance véritablement l’exploitation. A l’époque il s’agissait d’utiliser le charbon comme combustible dans les verreries, les forêts environnantes ayant été surexploitées.
En 1908 le bassin de Graissessac employait 1350 mineurs, en 1948 ils étaient 2200. Au départ c’est une main-d’œuvre locale qui est employée : ce sont les paysans mineurs qui essaient de concilier le travail de la terre (moissons, vendanges) et le travail de la mine, ce qui provoque beaucoup d’absentéisme.
La direction décide de faire appel à une main-d’œuvre étrangère : c’est l’arrivée massive de polonais, italiens, espagnols, algériens. Le travail est dur, il s’agit d’extraire à la pioche, au marteau piqueur le charbon de veines plus ou moins larges. C’est à ce moment-là en 1939 que le père de Serge Kriket arrive d’Algérie. Il est embauché à la mine du Bousquet d’Orb, il restera mineur jusqu’à sa mort par maladie en 1978.
Le bassin de Graissessac regroupe 4 concessions, il produit un charbon exceptionnel en qualité et en quantité : 518.000 tonnes en 1958. Le charbon part, entre autres destinations, vers Marseille et Toulon pour alimenter les chaudières des bateaux de guerre et de commerce. Malgré les dangers connus de tous : coup de grisous, risque d’effondrement des galeries, silicose, la mine attire. C’est un environnement particulièrement dur qui unit les mineurs dans une grande solidarité. L’intégration des diverses nationalités n’est pas un problème, le travail commun soude les hommes autour des tâches dévolues aux mineurs : piqueurs, manœuvres, boiseurs, boutefeux, mécaniciens, tuyauteurs. La poussière, la crasse s’incruste sur les corps. Tout le monde se retrouve sous la douche après avoir laissé ses vêtements de travail dans la salle des “pendus”.
Quand on demandait au jeune adolescent qu’était Serge Kriket en 1970 « qu’est-ce que tu veux faire plus tard » sa réponse fusait tout de suite “mineur”. En 1973 suite à l’incertitude économique que crée le choc pétrolier 35 mineurs sont recrutés, en priorité des fils de mineurs. Serge Kriket fait partie de ceux-là ; sa présence dans l’équipe de football du Bousquet a aussi contribué à son embauche. L’image d’Epinal du mineur “seigneur” est pourtant largement écornée dans ces années-là.
Les grèves de 1945 et 1948 ont marqué tous les esprits, les CRS occupaient le carreau de la mine. Au terme de plusieurs mois de grève il n’y avait plus rien à manger. Le jeune Serge, à l’âge de 10 ans, et son frère se retrouvent dans une famille de viticulteurs de la plaine biterroise où ils sont hébergés et nourris pendant plusieurs semaines. Des collectes de solidarité sont organisées par les responsables syndicaux sur la voie publique à Montpellier, Béziers…. La menace de fermeture du bassin plane toujours au-dessus des têtes. La production baisse : 200 tonnes en 1985, 100 tonnes en 1993 et pourtant Serge Kriket s’accroche.
Il intègre le 12 mai 1975 le service électrique qui compte 133 personnes. Il travaille “posté”. Les conditions de travail ne sont pas sans dangers, l’électrocution guette, le feu peut se déclarer à tout moment, l’amiante présente dans la centrale où l’air ambiant avec les poussières de charbon collent aux poumons, de même que les risques liés aux lavoirs à charbon.
En 1977 Serge Kriket est muté aux “découvertes” c’est un autre environnement de travail situé dans les montagnes à 400 m d’altitude. Quelles que soient les conditions météorologiques, c’est par tous les temps qu’il faut dépanner engins et installations fixes.
Le charbon extrait sur la “découverte” de Camplong est versé dans le puits Durand (80 m), ensuite il est pris en charge par un convoi de 15 berlines contenant 6 m3 de charbon, tracté par une locomotive électrique. Après 7 kms de galeries le convoi arrive au lavoir du Bousquet où le charbon est traité, lavé puis commercialisé.
Pour Serge Kriket la vie au Bousquet c’est aussi l’équipe de football où il se fait remarquer par sa technique, ce sont aussi les activités syndicales dès 1983. Il intègre en particulier le Comité central d’entreprise. La fête n’est jamais très loin : chaque année la Sainte Barbe patronne des mineurs est célébrée en grande pompe le 4 décembre.
Le temps passe ; arrive la fermeture du bassin… c’est Serge Kriket, dernier mineur des découvertes qui assure la fermeture le 01/05/2000.
Un nouveau chantier attend notre personnage : après la fermeture des mines, Charbonnages de France laisse sur le bord de la route des hommes et des femmes qui ont vécu par et pour la mine. Alors pour Serge Kriket, il s’agit aujourd’hui d’accompagner les mineurs ou leurs familles en difficultés à faire reconnaître leurs droits : prendre en charge la protection sociale, le suivi des dossiers retraite. Parfois il s’agit simplement de les aider dans leurs démarches quotidiennes.
Tel est le nouvel engagement de Serge.
Charbonnages a muré l’entrée des puits, a détruit toutes les traces de l’exploitation mais il n’a pas pu éliminer les acteurs et témoins de cette riche période. Serge Kriket est là pour maintenir ce flambeau éclairé, ce lien fraternel, autant que vivra le dernier mineur.
Par Jean Philippe Robian
La mine a fermé pas par faute de l’épuisement du minerai mais par la volonté de nos gouvernants. Bien sur le filon aurait été épuisé un jour, mais combien d’année encore des hommes auraient pu être « Mineurs »…..
merci pour votre témoignage, Il est vrai que les valeurs humaines qui reliaient les mineurs (fraternité et solidarité très fortes) sont indissociables de l’image de ce métier, valeurs que l’on peut heureusement retrouver ailleurs, mais les conditions de travail ainsi que les risques encourus par les mineurs, trop souvent, au péril de leurs vies ne sont ils pas un prix à payer un peu élevé pour être nostalgique de ce métier ?
Très émouvant. Merci.