loup

Questions à Patrice Gain

Patrice Gain. sera à la librairie un point un trait le jeudi 13 janvier 2022

C le MAG : Vous êtes ingénieur en environnement et professionnel de la montagne, votre cinquième livre paru en 2021 est De silence et de loup. Vos ouvrages abordent en filigrane la question du lien entre l’Homme et la nature, est-ce une question nécessaire aujourd’hui ?

Patrice Gain : J’écris des romans contemporains. Logiquement, la question du lien entre l’Homme et la nature revient dans mes textes. L’Homme exploite cette planète comme si tout lui appartenait, sans égard pour lui-même et a fortiori pour les espèces avec lesquelles il partage cet espace. Seuls comptent la croissance et le profit. Si les océans meurent, nous mourons et pourtant nous nous précipitons pour pêcher le dernier poisson, harponner le dernier cétacé et en prime nous y déversons tant de choses dont nous ne savons que faire. Les mers ne seront bientôt plus que d’immondes cloaques toxiques.

ClM : La nature, présente dans la plupart de vos écrits, est-elle tout autant un décor qu’un élément essentiel du récit au même titre que les personnages ?

P.G. : Quand j’écris, il me faut une histoire et un territoire, puis je pose mes personnages au milieu. Ils interagissent ensuite les uns avec les autres.

ClM : Lorsque Anna, le personnage de ce roman, rejoint une mission scientifique en Sibérie, vous racontez les difficultés administratives, mais aussi les obstacles que rencontre cette mission. Est-ce du vécu ? Mais surtout est-ce une façon de rappeler les difficultés des missions de recherche scientifique ?

P.G. : Oui, effectivement, rien n’est jamais écrit par avance quand on s’aventure dans ces territoires du bout du monde.

ClM : Dans votre livre, la recherche scientifique effectuée en Sibérie aborde la question des moyens dont elle dispose. La question des moyens est-elle une réalité des missions scientifiques en général et celles environnementales en particulier ?

P.G. : Paradoxalement, la recherche scientifique repose sur la volonté de quelques chercheurs, de quelques laboratoires universitaires, dont les financements émanent le plus souvent de grandes entreprises cherchant à “verdir” leur image.

ClM : Dans De silence et de loup, les grands espaces s’opposent à l’atmosphère confinée de vos personnages, Anna sur son bateau et Sacha dans la chambre du monastère. Comment se construisent ces oppositions ?

P.G. : Je voulais mettre en scène deux huis clos, celui d’Anna sur le voilier polaire et celui de son frère Sacha au sein du monastère de la Grande Chartreuse, congrégation cartusienne. Les grands espaces ne s’opposent pas à l’érémitisme, ils sont souvent, pour ne pas dire toujours, le cadre de vie de ceux qui s’y adonnent.

ClM :  Dans votre livre Denali, l’environnement naturel est à la fois le refuge et la source du danger pour Matt. Est-ce la même approche pour Anna dans De silence et de loup et pour Tom et Luna dans Le sourire du scorpion

P.G. : C’est vrai pour Tom et Luna, dans Le sourire du scorpion. En ce qui concerne Anna dans De silence et de loup, c’est différent. La toundra sibérienne, en hiver, est un lieu particulièrement hostile pour toutes personnes autres que celles natives des peuples indigènes de Sibérie.

ClM : Dans cette atmosphère pesante, oppressante, vous créez une ambiance qui caractérise les romans noirs, mais vous abordez aussi de nombreux sujets de société, (l’homosexualité, la vengeance, la pédophilie, la religion, le silence, la mort, la fratrie, …) lequel de ces thèmes vous tient le plus à cœur ?

P.G. : Je dirais la fratrie, parce que c’est là que résident les liens de l’enfance.

ClM :  Pensez-vous que le roman noir soit aussi un vecteur des questions d’actualité ?

P.G. : Incontestablement. Bon nombre de romans noirs sont en prise directe avec le monde. Ils tirent les fils de ce qu’il y a de noir en nous (et ils sont nombreux) pour, indirectement, dire comment notre monde tourne.

ClM : Dans De silence et de loup, vous abordez le thème de la violence faite aux femmes. Les réponses par les mots d’Anna et les actes de Jeanne sont-elles destinées à nous interroger sur la question de la vengeance et de la justice des Hommes ?

P.G. : La vengeance est la seule chose qui reste dans notre esprit quand l’abominable l’a vidé de sa substance. Ce n’est pas tant la justice des Hommes qu’elle interroge, mais l’Homme lui-même, dans sa propension à commettre des actes abjects.

© Chantal Briand

ClM : Le 13 janvier prochain, vous serez à Lodève à la librairie un point un trait, située au pied du Larzac, pas si éloignée des lieux évoqués dans Le sourire du scorpion. Seriez-vous inspiré par les grands espaces du Larzac et les terres rouges du Salagou ?

P.G. : Oui, sans aucune hésitation !

Par Stephan Pahl

L’idée Livres (2) – n°185

ARTIFICES de Claire Berest

ROMAN – Broché : 308 pages
Éditeur : Stock
Parution : Août 2021
ISBN : 978 223 408 9983

Abel Bac, flic solitaire et bourru, évolue dans une atmosphère étrange depuis qu’il a été suspendu. C’est cette errance que vient interrompre Elsa, sa voisine, lorsqu’elle atterrit ivre morte un soir devant sa porte. 

Beaucoup aimé. Un style accrocheur et tout en nuances. On entre tout de suite dans l’histoire et on est très vite attaché aux personnages. Abel Bac, un flic triste et désabusé et Mila, une artiste troublante et mystérieuse. Abel et Mila ont vécu un drame par le passé et tout va finir par les rapprocher. Construit comme une enquête policière, on cherche avec Camille (la collègue d’Abel) à comprendre le fin mot de l’histoire et on n’est pas déçu par le dénouement qui est à la hauteur de nos attentes. Original et efficace.


LES AMANTS MÉTÉORES de Éloïse Cohen de Timary

ROMAN – Poche : 288 pages
Éditeur : Livre de Poche
Parution : juin 2021
ISBN : 978 225 326 2091

Un soir, dans un bar, Marianne fait la rencontre de Virgile, un paysagiste talentueux et fantasque. Très vite, c’est l’évidence : ils s’aiment comme on ne s’aime qu’une fois.

Véritable coup de foudre pour ce petit roman très émouvant. Un chassé croisé entre deux destins. Celui de Marianne et de Virgile, un couple unique et magique, fou d’amour et celui de Florence, médecin anesthésiste qui après LE drame va prendre tous les risques. Une écriture originale avec des ponctuations étonnantes, avec un style narratif qui mélange la troisième personne et la première, qui alterne le familier et le littéraire…, et surtout des personnages forts et attachants. Deuxième roman de cette auteure à suivre assurément.


DE SILENCE ET DE LOUP de Patrice Gain 

ROMAN – Broché : 272 pages
Éditeur : Albin Michel
Parution : septembre 2021
ISBN : 978 222 646 2022

Tiksi, ville portuaire oubliée aux confins de la Sibérie, accessible par avion ou par bateau deux ou trois mois l’an. C’est là, à 700 kilomètres derrière le cercle polaire, qu’Anna rejoint une équipe de scientifiques qui s’apprête à hiverner sur la banquise à bord d’un voilier.

Patrice Gain a encore frappé. Un récit fluide et tendu à la fois. Toujours en lien avec la nature et ses rudesses. Il raconte ici une histoire d’aventure sombre et triste sur la nature humaine dans le climat extrême de la Sibérie à travers le récit d’Anna journaliste scientifique. En complète empathie, nous souffrons avec Anna des drames à répétition qu’elle a vécus (perte de sa petite fille, de sa compagne et bientôt de sa propre vie). Ce sont dans ses derniers moments qu’Anna trouvera les réponses à ses questions, notamment sur son frère qui s’est retiré dans un monastère jusqu’à la folie. 

Beaucoup de noirceur et de réalisme dans ce quatrième roman coup de poing.


SEULE EN SA DEMEURE de Cécile Coulon

ROMAN – Broché : 333 pages
Editeur : L’iconoclaste
Parution : août 2021
ISBN : 978 237 880 2400

Perché dans les forêts du Jura, un domaine dédié à l’exploitation du bois avec, au milieu des sapins, une grande bâtisse. Une jeune femme, Aimée, devient l’épouse du maître de maison. Dans cet univers sauvage et grandiose, elle tente de trouver sa place dans une famille chargée d’histoire.

Encore une belle réussite ! Décidément cette auteure ne cesse de nous étonner par sa maturité et son aisance dans la narration. Elle parvient à nous passionner sur n’importe quel sujet, avec beaucoup de fluidité dans son récit et de rebondissements savamment dosés. 

Des histoires d’hommes et de femmes, tendues par des secrets, des drames cachés… Des histoires d’amour contrariées et jamais simples. L’histoire de la vie en somme.

par la librairie un point un traitwww.unpointuntrait.fr

Compter les moutons…

Dans les années 70, les événements du Larzac avaient mis en lumière le travail de ceux et celles qui, en toute saison, veillent sur leurs troupeaux, l’une des richesses de notre territoire. Désormais, ce n’est pourtant plus la laine des brebis et moutons qui soit la plus recherchée, l’industrie textile ayant fait place depuis la moitié du siècle dernier à l’élevage des ovins pour leur viande ou leur lait, ce dernier alimentant principalement les caves de Roquefort. L’agropastoralisme est donc plus vivant que jamais, comme nous l’a indiqué Dominique Voillaume, bergère au Domaine de La Barre, (commune de Saint-Maurice Navacelles), rencontrée peu avant une sortie de ses brebis.

Une ancienne ferme des Seigneurs de Montcalm. Quittant la route de La Vacquerie, et en empruntant la grande ligne droite de la D25 menant à Saint-Maurice Navacelles, seule une petite pancarte, sur la gauche, indique La Barre. Mais il faudra encore effectuer quelques centaines de mètres sur un chemin de terre parsemé de crottes de moutons, comme autant de cailloux du Petit Poucet de notre enfance, avant d’apercevoir les premiers bâtiments agricoles du domaine occupé depuis 1983 par Dominique Voillaume et son compagnon Daniel Laborde. Une ancienne ferme qui, comme celles de la Prunarède, du Castelet, de la Cisternette ou du Ranquet, a jadis appartenu à la famille des seigneurs de Montcalm de Saint-Maurice Navacelles. Dans un enclos, un âne prévient les propriétaires de notre arrivée, à côté d’un autre enclos où paissent tranquillement quelques brebis, en attente d’aller goûter à d’autres pâturages plus accueillants. Devant le portail d’une bergerie, le camion d’une coopérative agricole s’apprête à charger quelques agneaux qui partiront bientôt à l’abattoir. Malgré ce départ imminent, toujours source d’une certaine tristesse, la maîtresse des lieux nous accueille d’un grand sourire. Le même que celui qu’elle gratifie en période estivale aux touristes venus parfois de très loin pour voir le Larzac et ses moutons, et qui s’étonnent de ne pas en avoir vu un seul, alors même que plusieurs troupeaux d’ovins cohabitent dans ce secteur.

Deux périodes de reproduction. Mais Dominique a vite fait de nous expliquer que sur les 600 hectares exploités, dont 300 cogérés par leur SCI Les Bergeries de La Barre, avec environ 50 hectares cultivés en vue du fourrage, son troupeau exclusivement destiné à l’élevage pour la viande compte pas moins de 390 brebis “Pré-Alpes du Sud”. Le lait des brebis sert donc uniquement à l’alimentation des agneaux. Mais pour une meilleure gestion de ce troupeau, la bergère et son compagnon ont décidé de le scinder en deux lots, ce qui leur permet d’avoir deux périodes de reproduction : l’une au printemps (mars-avril) et l’autre en automne (septembre-octobre), sachant que la période de gestation varie entre 144 et 151 jours. Cette méthode, originale pour l’époque, leur avait été insufflée par Jean-Claude Gaignard, berger au domaine de La Clastre, à Saint-Maurice Navacelles, dont la propriété et le troupeau ont été repris par son fils, Pierre-Olivier, au décès de son père. C’est dire que ce mois de mars s’annonce particulièrement prenant pour Dominique et Daniel, entre la “lutte”, période de saillie des brebis par le bélier et l’agnelage de printemps. Sans compter que dans le même temps, il faudra s’occuper de l’autre partie du troupeau, car qui dit élevage pour la viande dit aussi élevage de plein air. Heureusement, les collines avoisinantes, avec leurs espaces ombragés, permettent aux brebis de ne pas trop souffrir du cagnard en plein été, et d’économiser les ressources en eau, en dehors de certains points d’eau prévus à cet effet.

Un métier qui n’exclut pas une certaine poésie. Mais revenons plutôt à nos moutons, ou plutôt à ceux ou celles qui les gardent. Car, face au productivisme qui domine, on est en droit de se demander si le berger peut encore prétendre être un métier d’avenir. Et pourtant, force est de constater que le nombre de bergers est actuellement en hausse. Sans doute une preuve que l’agro-pastoralisme, avec son impact sur la préservation de la nature, et donc sur notre alimentation et notre santé est un sujet qui parle aux jeunes. Mais depuis Bernadette Soubirous, les choses ont bien évolué. Désormais, les futurs bergers peuvent compter sur des programmes d’enseignement supérieur auprès d’écoles spécialisées, comme la Bergerie Nationale de Rambouillet, le centre de formation de Salon de Provence (Ecole du Merle) ou encore les Lycées professionnels agricoles, comme celui de Saint-Affrique. C’est le cas de Dominique qui, après un DEUG en Sciences de la Vie, a obtenu un Brevet professionnel agricole, qui lui a permis de s’installer comme bergère à l’âge de 21 ans.
En attendant une bien improbable “apparition”, d’aucuns se demandent comment les bergers occupent leurs journées de gardiennage. Interrogée à ce sujet, Dominique nous a confié qu’elle se sentait souvent « comme dans une immense bulle. Je sais qu’il y en a qui tricotent, d’autres qui sculptent des bâtons de berger. En ce qui me concerne, il m’arrive de bouquiner, d’écrire des poèmes, ou encore de m’adonner à la photographie ou à la méditation. Tout en restant en état d’attention permanent, en osmose avec mon troupeau et mes autres compagnons de gardiennage, les chiens patous. Et puis, je reste aussi toujours à l’écoute des bruits de la nature (alouette lulu, rouge-gorge) ou des animaux de passage : lièvres, renards, perdreaux, mais je surveille aussi le vol des aigles et des vautours ». Ce goût pour la poésie, je l’avais déjà rencontré dans les années 80 auprès de Joseph Moliner, berger d’un troupeau du côté du Salagou, qui me confiait parfois ses poèmes dont certains ont été regroupés dans un petit recueil édité à compte d’auteur, intitulé “Poèmes d’un berger”. De son côté, Jean-Claude Gaignard, ancien étudiant des Beaux-Arts, s’était aussi fait connaître par ses tableaux et autres illustrations.
Le nouveau Plan Loup ne satisfait pas les éleveurs. Mais comment parler de ce métier sans évoquer le “problème du loup”, depuis sa réintroduction en France. Personnellement, Dominique n’en a jamais vu. Mais elle sait que le problème existe, sa consœur des Rives y fut confrontée récemment. Le 19 février dernier, un nouveau “Plan Loup” 2018-2023 vient d’être élaboré par le Ministère de la Transition écologique. Il stipule en particulier que le “plafond d’abattage” de 40 loups en 2018 est confirmé, mais qu’il pourra être “actualisé” une fois connus les chiffres de la population au printemps, pour être porté à 10 % de la population alors recensée. La population actuelle de 360 loups pourrait atteindre les 500 bêtes en 2023. Ce plan stipule aussi que les éleveurs pourront se défendre “en cas d’attaque” (10.000 brebis tuées en 2016) et prévoit des aides à la protection des troupeaux. Un plan qui suscite déjà la colère des associations et organisations agricoles qui se disent insatisfaites par son contenu.
Malgré l’engouement actuel pour ce métier, certains problèmes restent à régler. Ainsi, sur le Plateau du Larzac, les éleveurs émettent quelques craintes face aux intentions d’un investisseur qui rachète des terres pour y planter des pins. Autre problème : celui de la transmission, qui préoccupe en premier lieu notre bergère, qui, dans quelques jours, va prendre sa retraite. Plusieurs candidats à l’installation se sont proposés, mais leurs projets méritent réflexion. Car si le métier est intéressant, il n’est pas sans difficultés, les éleveurs devant souvent solliciter des aides de l’Europe, face au marché mondial sur les cours duquel ils doivent s’aligner pour pouvoir survivre. Ce qui n’empêche pas pour lors Dominique de siffler ses bêtes avec ses doigts, signe d’un départ imminent vers de plus tendres pâturages.
Par Bernard Fichet

Qui a peur du loup ?

Le loup est de retour en France et conquiert le Larzac. Cette situation ravive des peurs et montre que notre relation avec la vie sauvage n’est toujours pas claire.

Le Loup est de retour ! Il rôde sur le Larzac et tue des brebis, voire même des veaux ! Le risque qu’il descende dans les vallées est très faible mais ce n’est pas une raison pour être totalement indifférent aux difficultés et/ou drames que rencontrent les éleveurs. Cela va réveiller le débat entre eux et les écologistes qui sur le Larzac se retrouvaient sur de nombreux sujets. Là ils ne vont plus être d’accord. Le plus célèbre d’entre eux, José Bové, a toujours condamné la prolifération du prédateur1. Nous n’entrerons pas dans le débat, car nous sommes incompétents. Mais la figure du loup est néanmoins intéressante pour le philosophe car il a toujours fasciné les populations. Il fait partie de ce qu’on appelle « l’inconscient collectif ». Depuis des siècles les français vivent leur relation au loup de manière tout à la fois légendaire, irrationnelle et dynamique. Légendaire car on prête au loup des attitudes et une puissance qu’il n’a pas. Certes c’est un prédateur en meute, mais jamais il n’a remis en cause l’équilibre naturel qui aurait pu justifier son extermination récurrente. Irrationnelle car le loup va devenir le réceptacle de toutes les peurs et va ainsi occuper une place fondamentale dans les contes pour enfants depuis le 17e siècle. Dynamique car sa place évolue dans l’imaginaire. Aujourd’hui il est presque devenu le symbole d’une pseudo-vie naturelle, d’un respect d’une nature divinisée qui sert surtout à calmer nos angoisses de citadins culpabilisés par les discours écologiques. Nous ne voulons rien changer dans nos vies quotidiennes pour protéger l’environnement donc on achète une bonne conscience en protégeant un animal sauvage symbolique – très loin de la figure de prédateur dangereux qui existait au 20e siècle (et ce au grand dam des éleveurs qui font les frais d’un tel renversement de situation. Ils se rendent compte qu’ils deviennent les martyrs de notre résilience…) ; le loup occupe une place de choix dans notre inconscient.
Mais qu’est-ce qu’un inconscient exactement ? Un inconscient collectif ? Il faut définir avant de continuer car le mot est lui-même très chargé symboliquement. Tout d’abord il faut distinguer l’inconscience et l’inconscient. L’inconscience, c’est l’absence de la conscience et la responsabilité qui en découle. L’inconscient, c’est une nouvelle définition de l’esprit qui est née des travaux de Schopenhauer au 19e et des découvertes de Sigmund Freud au début du 20e, un nouveau topos (carte) de notre conscient : selon le médecin autrichien cet inconscient contient l’ensemble de nos désirs refoulés qui entretiennent un rapport dynamique et conflictuel avec notre conscience. Ces désirs refoulés – en grande partie issus de notre sexualité infantile – a produit un Ça et un Surmoi dont le conflit produit des névroses. Freud, qui était avant tout médecin, a donné naissance à la psychanalyse pensée comme une thérapie basée sur la parole (et sans médicament).
Le loup est-il un fantasme sexuel ? Oui et non. Cela dépend de l’école de pensée à laquelle vous appartenez. Car la pensée freudienne n’a pas produit une unicité chez ses héritiers. Nous allons en voir deux qui vont nous présenter une interprétation radicalement différente l’une de l’autre de ce rapport que nous entretenons avec le loup.
Le premier est Bruno Bettelheim (né en 1903 et mort en 1990) qui écrivit en 1976 la Psychanalyse des contes de fées (en anglais : The Uses of Enchantment qui se traduirait littéralement par « les usages du merveilleux »). Dans ce livre il explique le rôle que jouent les contes de fées dans l’enfance : selon lui l’enfant préfère le conte de fées à tous les autres livres d’enfants plus modernes car « pour qu’une histoire accroche vraiment l’attention de l’enfant, il faut qu’elle le divertisse et qu’elle éveille sa curiosité. Mais pour enrichir sa vie il faut en outre […] qu’elle soit accordée à ses angoisses et à ses aspirations » précise-t-il dans son introduction. Ce que veut dire le psychanalyste (qui s’est longtemps occupé d’enfants autistes) c’est que l’enfant doit très tôt trouver sa place dans sa société en gérant les conflits qui existent entre son moi (sa conscience), son surmoi (les valeurs morales qu’il a intégrées et qui déterminent son rapport à la transgression) et son ça (les pulsions de plaisir). Un conte de fées doit lui servir à trouver les clefs de ce conflit, ce qui fonctionne merveilleusement bien justement grâce à l’usage du merveilleux : les personnages des contes de fées ne sont pas ambivalents. Ils sont bons ou méchants, mais jamais les deux comme c’est possible dans la réalité. Les enfants peuvent donc se projeter en eux pour chercher des solutions à leurs conflits intérieurs et leurs angoisses. Conflits intérieurs et angoisses ! Nous touchons là le cœur de l’explication psychanalytique de la fascination pour les héros imaginaires. L’enfance n’est pas une période de paix pour des âmes innocentes mais au contraire le lieu de contradictions, de peurs et de défis pour des individus en construction. « L’angoisse de la séparation (la peur d’être abandonné) et la peur d’avoir faim, qui inclut l’avidité orale […] interviennent à tous les âges au niveau de l’inconscient » précise Bettelheim.
Et le loup dans tout cela ? On le retrouve dans beaucoup de contes, mais le plus célèbre est Le petit chaperon rouge. Voilà l’interprétation que Bettelheim en fait (attention ! Vous ne lirez plus jamais cette histoire à vos enfants avec le même regard) : « Une petite fille charmante, “innocente”, qui est avalée par un loup… ». Conte écrit initialement par Charles Perrault en 1697 puis repris par les frères Grimm en 1812. Mais les deux versions ont une grosse différence : dans la première  le loup triomphe en mangeant la petite fille alors que dans la seconde il est punit de mort et la petite est sauvée. Le conte de Perrault montre une petite fille qui désobéit et qui choisit d’être séduite par un personnage fascinant mais obscur. Il se termine par cette morale : « les jeunes filles, belles, bien faites et gentilles, font très mal d’écouter toute sorte de gens ». Bettelheim traduit et interprète : le loup représente la tentation sexuelle de la fille qui préfère le plaisir de la promenade (elle cueille des fleurs et rencontre le loup dans le bois) au devoir d’entraide entre les générations (apporter des aliments à sa grand-mère). La punition – que mérite tout compte fait le chaperon rouge – est donnée par le loup, séducteur, qui lui ne fait rien d’autre que ce qui lui est naturel et donc qui est moins fautif. La force de ce conte serait de permettre aux enfants de se positionner dans leur relation avec le principe de plaisir et le principe de réalité : à la fois elle veut jouer, elle veut désobéir et dans le même temps elle prend le risque de se trouver face à des gens dangereux. Que faire dès lors ? Avec Perrault elle perd et meurt (pour Bettelheim bien entendu le sujet principal n’est pas la mort mais la perte de la virginité) ; avec les frères Grimm elle est sauvée. Dans les deux cas le loup est « le séducteur mâle et toutes les tendances asociales, animales, qui agissent en nous ». Le petit chaperon rouge est aimée car elle est innocente et vertueuse. Mais la couleur rouge de sa cape « symbolise les émotions violentes et particulièrement celles qui relèvent de la sexualité ». Le loup, en prenant la place de la grand-mère, supprime la protection maternelle et laisse l’enfant seule face à son destin et ses tentations… sexuelles. Je vous avais prévenu, vous ne lirez plus ces contes avec les mêmes yeux désormais.
Une autre lecture du rôle du loup dans notre inconscient collectif, est celle de Carl Jung (1875 – 1961), disciple de Freud génial, mais en totale rupture avec le maître. Selon lui2, Freud a eu tort de croire que la sexualité jouait un rôle principal dans la constitution de notre inconscient. Il y a aussi la Volonté de puissance ancrée en chacun d’entre nous, c’est-à-dire la volonté de dominer l’autre, d’être au-dessus de celui qui s’oppose à nous. Jung se distingua également de son maître en introduisant l’idée que l’inconscient n’était pas simplement individuel mais aussi collectif, fait d’archétypes inscrits depuis très longtemps dans le cœur des êtres humains. Il note par exemple que toutes les religions s’appuient sur la recherche d’une forme de conservation ; l’immortalité et le culte des morts participent à cette recherche. Pour traduire cet inconscient nous effectuons des transferts qui ne sont pas autre chose « qu’une projection de contenus inconscients ». Le loup est une forme de transfert ; il symbolise à la fois la nostalgie de la vie naturelle, la beauté et la grâce de celui qui ne répond à aucune règle, à aucune frontière ; celui qui se sert lorsqu’il le désire ; en un mot celui qui est libre. Mais le loup est aussi celui qui garde ses racines près de lui à travers la meute. Il n’est pas solitaire. Il a une famille. C’est donc celui que nous aimerions être si la société ne nous obligeait pas sans cesse à renier nos idéaux. Bien entendu c’est une version très idéalisée du loup. Mais qu’avons-nous d’autre à notre disposition. Qui a déjà vu un loup ? Qui l’a approché ? Peu de monde. Le loup est celui qui ne se laisse pas domestiquer. Il est timide. Il ne veut pas qu’on l’approche. C’est ce qui nous fascine, nous qui vivons au milieu de la civilisation. Nous opposons le loup et le chien. Le chien a une laisse et est nourri par son maître. Le loup lui court des paysages immenses et grandioses. Au 20e siècle il fallait l’exterminer au nom de la civilisation. Aujourd’hui il faut le sauvegarder au nom de la nature. L’homme aux prises entre deux contradictions, celle de son instinct et de sa culture. Le loup – le vrai – en fera toujours les frais.
Et voilà le loup de retour. Le loup sur le Larzac. Les éleveurs d’ovins et de bovins peuvent frémir, car la décision de le chasser ou de le protéger ne dépendra pas de leurs intérêts, mais de la relation que la société voudra privilégier : celle de vouloir admirer le sauvage animal, libre et gracieux, ou celui de maîtriser le danger pour protéger sa vie civilisée.

Par Christophe Gallique

École

Le secrétariat du prix de l’Audace artistique et culturelle, s’est réuni les 14 et 15 mars et a retenu le projet d’éducation artistique et culturelle LES PETITS LOUPS DES VOIX « Ruby Bridges » parmi les 15 finalistes 2016 ! Ce projet qui mêle musique et littérature, mis en place avec les élèves des écoles primaires de Lodève, sera très prochainement présenté à un jury prestigieux pour ne garder que 3 lauréats. Les porteurs de projets seront également reçus à l’Elysée !