mersures

Les mesures antiques: quels pieds ? Quel pied !

Chorobates ! Dioptras ! Odomètres ! Gromaticiens ! Pinnules d’astrolabe ! Fils à plume ! Gnomons du pauvre ! : tel un capitaine Haddock furibard, plus enclin pour une fois aux insultes tirées de noms de mesure plutôt qu’au langage maritime, je sors de la salle de cours dans laquelle j’initiais à de passionnantes mesures antiques des collégiens de 4°, et une rage démesurée m’envahit quand la sonnerie de récréation tenta de briser l’intense concentration d’élèves en train d’arpenter avec plaisir les chemins du savoir… mais ils ont décidé de rester pour continuer ! On était à deux doigts – pardon, à deux « pouces » ! – d’atteindre l’objectif : former les constructeurs futurs d’un nouveau pont du Gard.

Quelque part, je me repens ainsi et me venge, sur le tard, de cette indifférence que j’entretins dès le plus jeune âge avec la géométrie et qui me fit zapper des cours (avec pour conséquence, bien sûr, quelques belles après-midis passées en retenue). A l’époque, je n’avais pas encore lu la saga d’Alix, ce jeune héros antique en toge rouge et sandales de bande dessinée franco-belge (aujourd’hui encore, incontournable). Il arrive tout de même à se retrouver au cœur de péripéties et de faits historiques qui, dans la réalité, ont été parfois espacés de plus de mille ans (il croise Ulysse et assiste à la chute de l’Empire romain). Je n’avais pas encore de mes yeux vu Le Caire, Alexandrie, Athènes, Mycènes, Rome, Pompéi, et je m’ennuyais profondément en tant que jeune lyonnais lors de visites familiales des théâtres romains et autres romanitudes de Lugdunum, capitale des Gaules, certains dimanches après-midis post-gueuletons épuisants.

Et puis : vlan ! Le ciel m’est tombé sur la tête ! Quelques lectures, de bons films, un prof d’histoire « vivant », et la potion devint magique. Encore un gamin qui veut devenir archéologue ! (ça ne s’est pas fait, mais bon, mon métier m’amène à travailler l’histoire en permanence, donc ça va…).

Plusieurs lycées, collèges et écoles héraultais vont accueillir cette animation qui oblige le Centre de l’Imaginaire Scientifique et Technique à itinérer avec son bric-à-brac d’instruments reconstitués, certains imaginés depuis plus de 3000 ans, et qui permettent de comprendre l’incommensurable génie humain. En fait, comme tout un chacun, l’élève à des réticences à se tourner vers un sujet qui lui paraît rébarbatif au premier abord mais c’est aussi dans ce cadre, lorsque sa curiosité est piquée, qu’il va trouver le plus de raisons de se creuser les méninges.

L’avantage des mesures et des maths c’est que ce sont des disciplines dont les fondements sont justement la curiosité et l’étonnement. Car, à partir d’un problème pratique, elles révèlent sans cesse des mondes insoupçonnés aux savants et artisans de différents métiers qui les ont inventées.

Du coup, honnêtement, chaque fois que je fais ces ateliers, ce que je mesure surtout c’est le fonctionnement hallucinant des neurones de ces jeunes de 7 à 15 ans… et ça déchire !

Un bout de bois, une maquette de pyramide, les traces de pas d’un chameau, une corde à treize nœuds, et tous ces instruments bizarres que j’ai cités en introduction tels des jurons improbables, et voilà que l’on peut faire un véritable voyage dans le temps. 

Les élèves choisissent parmi tous les objets et s’ensuit en général un léger temps de dispute amusante : non, on ne va pas pouvoir tout faire ! C’est le principe même du cabinet de curiosités.

Partons il y a plus de 3000 ans sur les rives du Nil en Égypte. Je nomme un élève pharaon ou pharaonne, qui nomme à son tour un arpenteur et son équipe. Ils vont remesurer les terrains agricoles parfois dévastés par des crues particulièrement violentes du Nil. Habituellement, ces crues sont des bénédictions qui irriguent les exploitations mais là, c’est un désastre. Tout a été détruit : récoltes, veaux, vaches, cochons, couvées, palmiers, cabanes à outils, palissades… Le cours d’eau a changé, les montagnes et les dunes elles-mêmes ont été modifiées voire déplacées… Une vraie chambre d’ado ! Pharaon agit vite car, sans pouvoir travailler, son peuple ne pourra lui payer des impôts, justement pharaoniques ! L’arpenteur va délimiter de nouveaux champs et les élèves découvrir tout ce que l’on peut faire avec une « simple » corde à treize nœuds, et un sens aigu de l’observation. Ils vont sans faire exprès réinventer l’angle droit parfait qui n’existe nulle part dans la nature et ce bout de corde va leur montrer qu’il peut devenir un des instruments de haute précision permettant de faire certains des calculs les plus essentiels aux sciences et techniques.

Mais… bing ! Mickey s’est cogné la tête, Doc a ré-appuyé sur l’accélérateur, le sablier s’est renversé et le voyage dans le temps continue… Le choix des élèves nous fait arriver il y a 2400 ans, à la cour du roi de Macédoine. On nomme Aristote comme précepteur du jeune prince Alexandre qui va devoir calculer et mesurer le mouvement des objets dans l’espace… Une science vient d’être inventée, on l’appelle : « gravité ». Elle va exciter les savants et les fabricants de catapultes et autres canons pendant 2000 ans ! Les hypothèses étaient bonnes mais les mesures ne l’étaient pas et on a ramé comme des dingues jusqu’à l’arrivée de Galilée et Newton, qui ont permis de comprendre où était l’erreur.

J’adore voir pédaler dans la semoule ceux qui doivent essayer de reconstituer la logique des idées, lutter contre leurs a priori, utiliser des mesures pour contrecarrer les mauvaises intuitions que leurs cinq sens leur ont suggérés…

Et… bing ! On est reparti pour une autre époque… Oui, mais voilà, mon rédac chef chéri a lui aussi un instrument de mesures : il compte en nombre de caractères avec et sans intervalles et m’indique qu’encore une fois je vais dépasser le temps et la distance, risquer de rendre mon article en retard, risquer d’avoir trop écrit pour que ça rentre dans les deux pages ! Pourtant, ce ne sont pas deux mais plutôt 10, 15 époques différentes qu’il faut pour comprendre les mesures et vraiment s’éclater avec les bizarreries de l’histoire des sciences.

Invité par le Musée Régional d’Art Contemporain Occitanie/Pyrénées-Méditerranée (MRAC) à Sérignan pour la grande expo (superbe!) « La mesure du monde », à laquelle contribuent plus de 25 grands artistes venus des quatre coins du globe, je ferai une conférence animée le dimanche 15 mars à 15 h, et adaptée à ce lieu magique.

(Si vous venez au MRAC, vous pourrez en profiter pour visiter aussi la deuxième exposition événementielle du moment : « Fata Bromosa » d’Abdelkader Benchamma, réalisée suite à sa résidence à la Villa Médicis. C’est un jeune artiste issu des Beaux-Arts de Montpellier qui monte, qui monte…).

A la librairie un point un trait de Lodève, le samedi 29 février à 11 h je ferai également une version spéciale. A très bientôt !

Par Frédéric Feu