Des arbres de Hollan à ceux du Domaine de Montplaisir
Après avoir garé sa voiture sur le petit parking à l’embranchement des routes des Plans et de Bédarieux, les visiteurs sont invités à se retrouver devant le grand portail surmonté d’un « M » en fer forgé, à l’effigie du Domaine de Montplaisir, face à l’entrée de la Clinique du souffle.
C’est là que les accueille en effet Marie-Pierre Nougaret, guide-conférencière, laquelle rappelle en préambule que cette visite s’inscrit dans le label de Lodève, ville d’Art et d’Histoire. Après la visite de l’exposition “Alexandre Hollan, questions aux arbres d’ici”, rien n’est plus judicieux en effet que d’aller contempler des arbres en vrai, qui plus est dans un domaine privé. Mais cette visite est aussi l’occasion de découvrir, à travers ce lieu, une partie de l’histoire de Lodève. Au départ, rien ne prédisposait vraiment ce lieu à vocation plutôt agricole à devenir, pendant près de deux siècles, un pôle industriel important du Lodévois, sinon qu’il jouissait d’une situation privilégiée entre Plateau (du Larzac) et plaine, avec ses deux rivières La Lergue et La Soulondres, sans compter l’Izarn Rau ou encore les ruissellements venant d’Olmet ou Belbezet. Lors d’un recensement de population en 1707, le domaine est évoqué comme « comprenant une maison, un jardin, des prés, vignes et champs, chataîgnettes, bois et rivages ». D’autres documents attestent qu’en 1712, Antoine Darles de Chamberlain, ancien officier et ingénieur en chef du Roi, épousa Claire de Mongenel, fille d’un ancien maire de Lodève, et propriétaire du Domaine de Montplaisir.
La Manufacture de draps
Passent les années, avec pourtant un événement important : en 1726, grâce à l’intervention du cardinal de Fleury, né à Lodève, mais pour lors ministre de Louis XV, Lodève obtient le monopole de la fabrication des draps militaires. Une activité qui devait se développer dans le Lodévois et le Clermontais (Villeneuvette). La manufacture Barbot et Fournier avait perçu l’intérêt de cet emplacement, ses dirigeants ayant notamment déclaré : « Ce domaine est très agréablement posé. La rivière Izarn qui le traverse et plusieurs sources abondantes qui y surgissent fertilisent avantageusement les prairies et le rendent susceptible de recevoir toute sorte d’usine ». Rien d’étonnant donc au fait que cette balade à travers les allées plus ou moins ombragées du parc, avec ses perspectives imprenables sur des allées de cyprès et autres essences arboricoles, débute par le bâtiment de la manufacture, qui longe la route de Bédarieux. Outre ses larges portes, dont certaines donnaient directement sur la route, le bâtiment comporte des lieux de stockage, mais aussi d’ateliers pour les différentes activités liées au travail de la laine, du filage au tissage, en passant par la teinture. Les marchands-drapiers ont donc sévi tout au cours du 18e siècle, et durent par la suite s’adapter aux progrès technologiques, notamment en 1840 avec l’arrivée de la machine à vapeur à Lodève. Vu le poids de ces machines, les tisserands furent d’ailleurs contraints à réaménager leurs ateliers, redescendant leurs machines devenues trop lourdes au rez-de-chaussée. En 1865, le domaine devenait la propriété de Michel Chevalier, conseiller de Napoléon III. Ce brillant économiste, adepte du libre-échange, délaissa petit à petit cette activité pour reconvertir Montplaisir en domaine agricole, sa vocation première. Quelques années plus tard, Paul Leroy-Beaulieu (1843-1916), autre économiste français, partisan du libéralisme, devenu gendre de Michel Chevalier n’hésitait pas à déclarer : « Je suis enchanté de cette propriété qui me paraît vraiment délicieuse. Toutes ces belles allées et toutes ces eaux sont ravissantes à voir. Nous devrions y passer là régulièrement les automnes et les étés… ».
Jardin à la française
La deuxième partie de la visite concerne donc essentiellement les jardins du domaine. Ce trajet permet avant tout de mieux comprendre le réseau hydraulique de la propriété, qui n’a pas encore livré tous ses secrets, comme en témoignent les travaux entrepris dernièrement par le nouveau propriétaire des lieux. Ce que l’on note en premier lieu, c’est la canalisation de la rivière par des murs de briques. Mais en bien des endroits, l’eau circule dans des canaux, des petits aqueducs ou des béals, quand elle ne ruisselle pas le long des parois de la colline située derrière le bâtiment principal. Au gré de la balade, on découvre ici un ancien moulin, dont on peut imaginer la roue, là un bâtiment-lavoir ou un peu plus loin encore un bassin-vivier, comme autant de témoignages sur la complexité de ce circuit hydraulique qui a permis aux tisserands de maintenir leur activité pendant de si nombreuses années. Cette eau, omniprésente, établit d’ailleurs un lien certain entre Montplaisir et la ville de Lodève, puisque c’est elle qui alimente encore les fontaines du Parc de Lodève. Cette eau enfin, explique la présence de nombreux arbres ayant besoin d’eau, peupliers et saules en particulier.
Mais il est temps pour les visiteurs de poursuivre leur balade dans le parc. Après avoir traversé une pièce voûtée en grès, garnie de larges baies, que l’on peut imaginer comme ayant fait office d’orangerie, il convient alors de flâner plus longuement dans le jardin à la française, situé un peu en hauteur, au confluent de la Soulondres et de l’Izarn. Suivant certains documents, ce Jardin à la française est dû à Philippe Delorme. Comme tout jardin de ce type, il est conçu comme un “appartement extérieur”, avec ses termes appropriés : vestibule, chambres, etc… Mais il s’agit aussi d’un travail sur les effets d’optique, de symétrie, de perspectives. Et son petit bassin central, agissant comme un miroir reflétant le ciel, est entouré de haies de buis taillées suivant les règles de l’art topiaire. Une occasion de rappeler que ces jardins à la française, avec leurs rectitudes se distinguent des jardins à l’anglaise qui utilisent les déclivités du terrain sur lequel ils sont implantés. A noter enfin que ce jardin de Montplaisir est qualifié de “jardin pittoresque”, comme celui de Montdardier dans le Gard.
Une maison plus qu’un château
Reste évidemment à parler de ce bâtiment central, adossé à la colline, que les vieux Lodévois ont encore tendance à appeler le château des Leroy-Beaulieu. La guide-conférencière balaie d’emblée toute équivoque en précisant qu’il s’agit d’une maison et non d’un château. Une métairie se trouvait donc à l’origine de ce bâtiment, comme en attestent certains documents. Mais il semble que ce soit Michel Chevalier qui en ait réuni les diverses dépendances pour former ce bâtiment assez éclectique, avec ses balustrades et autres accessoires architecturaux, pas toujours du meilleur goût ; autant de travaux terminés au début du XXe siècle par Leroy-Beaulieu. L’étrangeté de ce bâtiment repose dans le fait qu’il ne se trouve pas dans l’axe de l’entrée principale du Domaine. Son escalier d’accès est obligé d’opérer un virage à droite pour se retrouver d’aplomb avec la façade du bâtiment. En revanche, lorsqu’on se trouve sur la terrasse, la vue à l’horizon plonge directement sur le clocher de la cathédrale Saint-Fulcran. Lors du contournement du bâtiment, à une croisée de chemins, on peut encore découvrir une statue de Paul Dardé, à l’effigie de Laocoon, héros troyen, étouffé avec ses fils par des serpents monstrueux. Pour ne pas terminer notre visite sur cette image tragique, nous préciserons que le nouveau propriétaire a décidé de poursuivre la reconversion de son domaine en replantant cette année une vigne. Appellation “Mon Plaisir” ?
Par Bernard Fichet