Hajar

Questions à HAJAR AZELL

Hajar Azell sera à la librairie un point un trait le vendredi 8 avril 2022

Bonjour Hajar Azell ! Vous serez à la Cave de Cabrières près de Clermont l’Hérault pour une première rencontre ensuite à Lodève à la Librairie un point un trait pour participer à un atelier d’écriture puis à une rencontre suivie d’une séance de dédicaces ? Même les lycéens auront l’occasion de vous découvrir !

C le Mag : Votre premier roman L’envers de l’été est paru chez Gallimard, comment cela s’est déroulé ?

Hajar Azell : J’ai envoyé mon roman en avril 2020 à Gallimard et j’ai eu la chance d’être contactée quelques mois plus tard par l’un des éditeurs de la maison. C’est un rêve d’enfant qui se réalise pour moi qui ne connaissais absolument personne dans ce milieu.

ClM : Présentez-nous ce roman, L’envers de l’été.

H.A. : Dans la grande maison familiale au bord de la Méditerranée, Gaïa vient de mourir. May, sa petite-fille, qui a grandi en France, éprouve le besoin de passer quelques mois dans la maison avant sa mise en vente, en dehors de la belle saison. Elle y découvre, en même temps que la réalité d’un pays qu’elle croyait familier, le passé des femmes de sa lignée. En particulier celui de Nina, la fille adoptive de Gaïa, tenue écartée de l’héritage. Le paradis de son enfance se révèle rempli de blessures gardées secrètes.

ClM : Votre livre aborde différents sujets autour de la famille, quels sont-ils ?

H.A. : Mon roman sonne l’adieu aux mythes de l’enfance : l’été, la famille, la terre originelle. Cela m’intéressait de montrer comment une maison familiale – qui symbolise l’unité d’une famille – peut devenir l’objet de récits concurrents. Après la mort de la grand-mère, la maison est vendue et chacun de mes personnages écrit sa propre version des choses et emporte avec lui son lot de souvenirs. Au sein de la même famille, on n’est plus tout à fait sûr d’avoir vécu les mêmes choses. 

ClM : Le décor est une partie importante du récit, l’ici et l’ailleurs, pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

H.A. : Mon roman s’enracine dans un village imaginaire que j’ai nommé Tephles – en référence à Delphes, qui, selon la mythologie grecque, serait le centre du monde. Dans mon roman, Tephles est le lieu de rassemblement d’une famille éclatée entre plusieurs pays. C’est pour les uns, un lieu de retrouvailles estival et pour les autres, un lieu de vie. Le village et la maison familiale ont une dimension symbolique très forte pour la plupart des personnages. Gaïa, la matriarche, y a veillé. À Tephles, la maison, la terre, le soleil et la mer ont également une place centrale. Ils incarnent cette constance dont on s’accommode, siègent en rois dans une nature désertée. Alors que les villes s’étendent à toute allure, la nostalgie de ceux qui partent grandit, et avec elle, la souffrance des prisonniers d’un seul territoire. 

ClM : Au cours du récit nous alternons entre le passé et le présent, dans la mixité des générations à travers les yeux de deux personnages principaux May et Camélia. Qui sont-elles ?

H.A. : May et Camélia sont deux cousines du même âge. Elles ont des personnalités très différentes mais elles se construisent ensemble d’été en été. On suit leur découverte de l’amour et leurs premières aventures adolescentes… Ce roman raconte leur éloignement progressif à travers les souvenirs croisés des personnages. Les conflits de famille et l’éloignement géographique vont, petit à petit, éroder la pureté de leur relation d’enfant.

ClM : Vous écrivez dans votre roman (p. 139) : “L’écriture a cela de dangereux qu’elle crée un matériau intelligible pour les souffrances que l’on tait…” En quoi l’écriture est-elle la parole du silence ?

H.A. : Pour moi, le silence cache quelque chose de trop enfoui pour que la parole, seule, suffise à l’épuiser. A contrario, l’écrit est le territoire de la complexité, il donne à voir des vécus différents, fouille un sujet en profondeur. Un roman fait vivre de manière très sensorielle, très charnelle, le point de vue d’autrui. Il rend le silence et les colères accessibles, presque douces. 

© Francesca Mantovani 

ClM : Pourquoi est-ce dangereux de révéler ses souffrances ?

H.A. : Camélia – le personnage qui tient ce carnet et écrit cette phrase – est consciente du pouvoir de l’écriture sur sa propre prise de conscience des choses. Écrire contribue à faire exister les choses, cela leur donne de la valeur, un habit fait de mots et d’émotions. Dans le cas de Camélia, c’est de ses propres secrets qu’il s’agit. C’est comme si elle cherchait à s’en débarrasser tout en prenant conscience que quelqu’un pourrait alors les trouver.

ClM : À travers le personnage de May nous passons du monde de l’enfance à celui de l’adulte. De l’innocence de l’enfance aux secrets des adultes. Est-ce justement cela le monde adulte, la perte de l’innocence ?

H.A. : Oui, en partie. Et en même temps, le principe de réalité est nécessaire pour déconstruire les mythes de l’enfance. Cela permet aussi d’avoir un rapport plus sain aux choses. Pour May, par exemple, le passage à l’âge adulte va se traduire par la découverte de l’envers de ses étés. Toutes les personnes qui sont entre deux pays passent nécessairement par cette désillusion nécessaire qui n’enlève pas la beauté des choses. “Connaître un territoire, ce n’est pas seulement le chérir, c’est l’éprouver.” peut-on lire dans la deuxième partie du roman.

ClM : Amertume et rancœur d’un pays et village rêvé pour les uns, cauchemar ou prison pour les autres, idéal de vacances ou réalité du quotidien ? C’est quoi les vacances ?

H.A. : Les vacances c’est un moment collectif de création de souvenirs. Il y a quelque chose de très beau dans ces retrouvailles, dans ce temps non productif. Et en même temps, j’ai toujours trouvé qu’il y avait une forte injonction au bonheur pendant les vacances, a fortiori aujourd’hui avec les réseaux sociaux qui entretiennent encore davantage le mythe des vacances parfaites.

ClM : Le personnage de Camélia dit “Plusieurs fois j’ai eu envie d’écrire de vraies histoires” Qu’est-ce une vraie histoire ?

H.A. : Dans ses carnets, Camélia se moque de la construction que nécessite la fiction : l’intrigue, les indices qu’il faut laisser pour expliquer les rebondissements… “Bien sûr on peut toujours retrouver a posteriori les indices précurseurs de tel ou tel événement ou de telle ou telle réaction. Mais ça c’est une manie d’écrivain. La vie c’est autre chose.” écrit-elle.  C’était important pour moi de glisser l’idée, qu’après tout, en toute humilité, la fiction ne fait que coudre ensemble des événements qui n’ont pas toujours de lien. Le besoin de récit est un besoin terriblement humain mais ni la vie, ni la mort ne s’embarrassent de sens. Encore un mythe à déconstruire.

ClM : Merci Hajar et à très bientôt

Par Stephan Pahl