contrat social

De la pertinence de la désobéissance civile…

Il y a des actualités qui se font sous forme de feuilleton au suspens extraordinaire. Le conflit entre la Catalogne et Madrid en fait partie. Car il illustre très bien un problème plus vaste : faut-il toujours obéir à l’Etat ?

La Catalogne nous fait peur depuis le début du mois d’octobre : organiser un référendum illégal, puis proclamer l’indépendance de la république catalogne unilatéralement, faisant fi des menaces et des ultimatums de Madrid ! Sommes-nous à la veille d’une nouvelle guerre civile en Espagne ? Est-ce qu’on peut se révolter ainsi contre le pouvoir politique. Est-ce la fin de la démocratie ? L’Espagne est-elle encore une démocratie ? Mais à l’inverse, les indépendantistes peuvent-ils faire fi de la constitution espagnole qui garantit un état de droit, c’est-à-dire des lois acceptées par tous et qui empêchent quiconque – au nom d’idées qui lui semblent légitimes (car tout le monde croit que ses idées sont légitimes…) – de prendre le pouvoir et d’imposer ses choix ? Le gouvernement de la province autonome n’a pas respecté cette constitution. Pourquoi ? Quel est son argument ? Celui de dire que le gouvernement de Madrid ne le respecte pas. Dialogue de sourd.
Nous n’y pouvons rien, sauf cultiver la nostalgie des États autoritaires et se demander si l’avenir de l’Europe n’est pas celui des nations mais plutôt celui des grandes régions. Débat complexe. Comment inventer une identité européenne alors même que les identités nationales posent problème ? Et il n’y a rien de plus irrationnel, affectif, passionnel que la question de l’identité. Trop difficile pour un faible esprit comme le mien. Je préfère m’en tenir à la rationalité : pourquoi doit-on obéir aux lois venant de l’État ? En France le problème est différent : nous sommes un pays centralisé et Paris gère naturellement tout. C’est inscrit dans nos gènes, depuis la Monarchie Absolue de Louis XIV. Néanmoins la question reste la même : pourquoi accepter d’obéir à des lois constitutionnelles ? Pourquoi ne pas y préférer une forme d’anarchie où chacun pourrait décider de son propre destin, en bonne intelligence avec ses voisins ? La philosophie s’est toujours posée cette question, depuis que Aristote, le macédonien, a défini l’homme comme animal politique : être humain, c’est vivre au sein d’une organisation politique. Si ce n’est pas le cas, nous sommes soit des dieux soit des animaux.
Pourtant, dans l’histoire contemporaine, les moments de révolte et de révolution furent nombreux : des peuples entiers ont décidé de refuser cette autorité politique qu’est un État, pour reprendre leur liberté. Nous, français, nous avons fait pas moins de 4 révolutions entre 1789 et 1871, entrecoupées par une Restauration et 2 coups d’État. C’est pour le moins la preuve que la révolution peut exister et qu’elle peut avoir une certaine légitimité…
Ce qui est moins connu en France, c’est que nous ne fûmes pas les premiers : 150 ans avant nous les Anglais coupèrent la tête à leur roi, Charles Ier, à l’issue d’une guerre civile en 1649. Épisode d’autant plus méconnu de nous, arrogants français qui pensent avoir été premiers en tout, que les anglais remirent sur le trône le fils de ce roi sans tête 10 ans plus tard et établirent une monarchie constitutionnelle qui resta stable jusqu’aujourd’hui, avec l’admirable Bill of Rights, liste des droits individuels que l’État doit respecter ! Étonnant : un chef d’État qui doit respecter les droits de chacun de ses citoyens. Et si c’était cela la base de la paix civile, le nœud qui permet la cohésion entre un peuple, une société et l’État ? Thomas Hobbes, philosophe anglais contemporain de Charles Ier, fut si frappé par les événements auxquels il assista qu’il décida d’analyser les raisons pour lesquelles un peuple accepte d’obéir aux lois en revenant aux origines du monde politique : que s’est-il passé lorsque les hommes décidèrent il y a des milliers d’années d’inventer les lois et l’État, « eux qui par nature aiment la liberté » écrivit Hobbes dans le Léviathan en 1651 ? Réponse : pour « s’arracher à ce misérable état de guerre qui est, je l’ai montré, la conséquence nécessaire des passions naturelles des hommes ». Homo homini lupus est, l’homme est un loup pour l’homme, non pas parce que l’homme est égoïste et méchant, mais parce que l’homme est dominé par sa fierté, sa jalousie et sa haine des étrangers. Ce sont là des passions qui empêchent les individus de vivre dans le même temps libres et en paix. L’État, pour Hobbes, doit être une structure qui utilise la peur des châtiments pour obliger les hommes à vivre en harmonie malgré eux. Totale schizophrénie : les hommes ont inventé un outil monstrueux, l’État, pour réprimer leur penchant naturel à s’entretuer ! C’est, pour Hobbes, le fondement d’un contrat social entre les hommes et leur structure politique : ils acceptent de perdre leur liberté si et seulement si l’État les protège des autres citoyens. Pour cela ils veulent que tous leurs voisins fassent de même : l’égalité dans l’obéissance ! D’où l’interdiction de toute forme de sédition ou même de contestation de l’État ; il faut que les hommes obéissent aux injonctions de l’animal à sang froid pour que le contrat social soit valable (métaphore idéale de l’administration centralisatrice et parfois totalitaire qui surveille et régule nos existences de pauvres pécheurs. La pieuvre étant la meilleure incarnation de ce pouvoir tentaculaire !). Hobbes est devenu le théoricien du pouvoir autoritaire, du pouvoir sans partage de l’État centralisateur.
Voilà pourquoi les catalans doivent obéir à Madrid : maintenir la paix et la cohésion. Il ne peut y avoir qu’une seule tête ! Mais cette perception des événements est pour le moins unilatérale. Elle implique deux points qui peuvent être très contestables : d’une part que l’État ne peut jamais se tromper et d’autre part que les hommes sont incapables de décider par eux-mêmes ! Mythe de l’État paternaliste face à des enfants irresponsables et immatures. Honnêtement qu’est-ce que cela veut dire ? Instruction obligatoire jusqu’à l’âge de 16 ans dans la plupart des pays développés et résultat : des individus dont le jugement est si faible qu’ils ne sont pas capables de penser par eux-mêmes ? Je répète : tout cela ne serait-il pas qu’une mystification ? Un penseur américain du XIXe le démontra de manière lumineuse : Henry Thoreau fut le témoin à la fois de l’ignoble esclavagisme contre lequel il lutta et de cette naissance des États modernes qui cultivaient un despotisme doux, concept qui peut se résumer par « ne pensez pas, ne contestez pas, l’État est là pour décider à votre place ». Thoreau était un révolté dans l’âme ; il écrivit dans La désobéissance civile en 1841 : « Sous un gouvernement qui emprisonne quiconque injustement, la véritable place d’un homme juste est aussi en prison. » Cette phrase pourrait devenir le chant de tous les peuples et individus qui se sentent oppressés face à l’État. Elle soutient l’idée que l’État peut être une machine absurde et criminelle. Les individus ont seuls une forme de raisonnement rationnel. L’administration, elle, n’est qu’un système qui applique des règles aveuglément. Donc tout État devrait écouter les citoyens dont il a la charge de protéger, lorsque ceux-ci l’interpellent et dénoncent des injustices. C’est rarement le cas. A l’inverse l’État a tendance à réprimer toute velléité de critique face à son action. Comme si l’État était Dieu ! Face à ce mur sourd et aveugle, les individus ont deux choix : soit ils attendent en espérant que le futur leur donnera raison, soit ils se révoltent !
La thèse de Thoreau est, bien entendu, qu’il faut se révolter. Car non seulement il ne faut pas attendre de l’État le moindre des progrès sociaux – ce n’est pas dans sa nature qui est à l’inverse toujours conservatrice des équilibres sociaux existants – mais pour Thoreau c’est même la seule manière que la société a de progresser. Un Grand Homme est toujours à l’origine un homme qui a désobéi à l’État car les lois lui semblaient injustes. Thoreau, dans son ouvrage, s’appuie sur les exemples du Christ, de Copernic, de Luther, de Washington et de Franklin. Le point commun entre toutes ces personnalités est qu’ils furent pourchassés, emprisonnés, parfois exécutés pour avoir voulu s’opposer au pouvoir en place. Et l’histoire regorge d’exemples de même acabit. Au vingtième siècle nous pouvons rajouter les exemples de Mandela face à l’Apartheid, du manifeste des 343 salopes en 1971 pour l’IVG et des lanceurs d’alertes face à l’omniscience de l’État. Le plus célèbre d’entre eux, Edward Snowden, a dénoncé le pouvoir des écoutes de la NSA et depuis a dû fuir les USA – pays dit démocratique – et se réfugier en Russie ! Le monde à l’envers. Mais soyez sûrs que ce jeune homme sera à l’avenir le symbole de la liberté face au pouvoir de plus en plus grand des GAFA – ce totalitarisme nouveau qui a réussi en quelques années ce que le KGB et la STASI n’ont pas réussi à faire : nous surveiller en permanence !
Thoreau s’interroge : « Pourquoi [l’État] n’a-t-il pas d’égards pour sa minorité éclairée ? Pourquoi pousse-t-il les hauts cris et se défend-il avant qu’on le touche ? Pourquoi n’encourage-t-il pas les citoyens à rester en alerte pour lui signaler ses erreurs et améliorer ses propres décisions ? » Réponse : car il est jaloux de son pouvoir. Il ne veut pas partager. Tout compte fait l’État a les mêmes défauts que les individus : il est dominé par sa soif du pouvoir. Donc la question catalane, pour revenir à notre premier sujet, ne doit pas être vue uniquement sous l’angle de la question de l’identité. C’est aussi en lien avec la question du rapport de force : celui d’individus qui veulent exercer leur droit à l’expression et qui aimeraient organiser un référendum face à un État qui ne veut pas que ses citoyens s’expriment. Tout honnête homme comprend que ce qui fut possible entre L’Ecosse et Londres devrait l’être également entre Barcelone et Madrid. Les exemples du passé servent d’alerte : l’État qui réprime est rarement dans le sens de l’histoire et du progrès. Cela ne veut pas dire que toutes les régions d’Europe devront à terme être indépendantes, mais chaque citoyen européen doit pouvoir exprimer ses idées politiques au sein d’une démocratie moderne.
Par Christophe Gallique