Interview

Questions à Julien Masdoua

En spectacle à la librairie un point un trait, le 18 Mai 2022

C le Mag : Vous êtes diplômé d’Histoire, comment passe-t-on d’un master d’histoire à raconteur d’histoires puis à acteur, c’est à dire celui qui joue des histoires ?

Julien Masdoua : Assez logiquement finalement… l’Histoire est constituée d’histoires, et les études d’Histoire mènent essentiellement au travail d’enseignant qui finalement ressemble beaucoup au métier d’acteur. Plus prosaïquement, c’est en vivant sur le campus que j’ai commencé le théâtre en amateur et que je suis passé ensuite au théâtre professionnel.

ClM : Comment êtes vous “tombé” dans une série télé comme “Un si grand soleil” ?

J.M. : Je fais de la télévision depuis le début de ma carrière. Pour “USGS”, j’ai suivi le parcours normal des auditions, des castings jusqu’à avoir la chance d’être retenu pour le rôle d’Enric que j’interprète donc depuis le début de la série.

ClM : Vous avez fondé La Compagnie du Capitaine et vous en êtes aussi le directeur artistique, quelles sont les particularités de cette compagnie de théâtre ?

J.M. : La Compagnie du Capitaine est une vraie “troupe” dans le sens où ce n’est pas qu’une structure administrative : il y a une ligne artistique définie, un groupe de personnes qui travaillent toujours ensemble et une énergie et des valeurs partagées. Pragmatiquement, nous proposons une grande variété de spectacles (théâtre, jeune public, conte, improvisation, théâtre immersif, etc.)

ClM : Vous avez écrit plusieurs pièces de théâtre, dont le “Cabaret Sherlock Holmes” une pièce de théâtre enquête où vous jouez le personnage de Sherlock Holmes. Pourquoi ce personnage est-il si fascinant, à voir, à lire, et j’imagine à jouer ? 

J.M. : En réalité j’ai écrit 3 spectacles autour du personnage de Holmes : “Le cabaret Sherlock Holmes” une pièce de théâtre, “Un meurtre sera commis ce soir” une enquête immersive et interactive et “Le mystère du bidon tout rond” une pièce jeune public. Le personnage de Holmes est le personnage de fiction le plus interprété au monde, tous supports confondus et ce n’est pas pour rien. Je pense que ce qui fascine le plus chez Holmes, c’est le fait qu’il soit en quelque sorte l’ancêtre archétypal de tous nos héros modernes, que ce soit les personnages de romans, séries ou films policiers (qui s’inscrivent tous dans la lignée de Holmes ou en opposition à lui), ou les super héros (Batman par exemple est une adaptation directe et reconnue de Holmes). 

ClM : Vous avez écrit plusieurs “Murder Party”, mais qu’est-ce donc une Murder Party ?

J.M. : Pour simplifier, une “Murder Party” est un spectacle dans lequel le public va jouer le rôle du détective et tenter de résoudre un mystère en se basant sur la performance des comédiens.

ClM : Le 18 mai vous serez à la librairie Un point un trait à Lodève pour une représentation d’une soirée-enquête en présence de Sherlock Holmes, comment cela va-t-il se dérouler ? 

J.M. : Le public est directement plongé dans l’univers du XIXème siècle anglais et est intégré au spectacle par le biais des techniques du théâtre immersif (jeu au milieu des spectateurs, prise à partie, improvisation). Nous sommes sensés assister à la réouverture d’un lieu culturel victorien, fermé un an auparavant suite à un décès plus que suspect. Sherlock Holmes fait partie des invités d’honneur et bien évidemment, durant la soirée, un meurtre sera commis…

ClM : La Compagnie du Capitaine présente aussi d’autres spectacles, d’enquêtes, d’illusions et de magies, d’histoires et légendes, et même du Shakespeare, quel est votre rapport aux mots ?

J.M. : Le langage définit notre façon de penser et de concevoir le monde. Une même information délivrée avec des mots différents n’a pas du tout la même concrétisation dans l’esprit de celui qui la reçoit et les actes qui s’en suivent sont différents. Les mots et le langage constituent notre identité. C’est précisément le cœur de la thématique de notre travail sur notre nouvelle pièce “S’il ne nous reste que Shakespeare” dans laquelle les personnages ont la particularité de ne pouvoir s’exprimer qu’avec des phrases issues des pièces de Shakespeare. 

ClM : Vos spectacles d’enquêtes “Sherlock Holmes” ou “films noirs” cherchent-ils à éveiller l’esprit critique ?

J.M. : Ils cherchent avant tout à divertir et à proposer une autre approche du spectacle vivant, un peu plus active de la part du spectateur. Et bien sûr, l’esprit critique étant en partie observation, scepticisme et analyse, les théâtre-enquêtes y encouragent !

ClM : Vous écrivez et mettez en scène, quels sont vos sujets favoris et vos projets ?

J.M. : J’aime tout ce qui touche à la nature humaine, mais j’aime beaucoup aussi tout ce qui est iconique et participe à notre héritage culturel global. C’est le cas avec Holmes mais aussi avec l’œuvre de Shakespeare sur laquelle nous travaillons en ce moment. Je travaille également à l’écriture d’une série TV mais chut, c’est top secret !

ClM : Vous préparez un autre spectacle en partenariat avec la librairie un point un trait, un spectacle d’humour et d’improvisation. Comment cela se travaille-t-il ?

J.M. : L’improvisation théâtrale telle que nous la pratiquons est très technique et demande énormément d’entraînement et de travail. J’enseigne depuis plus de 20 ans et les improvisateurs de la troupe suivent mes formations comme les autres élèves “amateurs”. Il faut pas mal d’heures de vol pour participer à un spectacle d’impro de la Compagnie du Capitaine.

ClM : Dans vos spectacles, l’humour est souvent présent, qu’est-ce pour vous l’humour ?

J.M. : L’humour est la meilleure façon de faire passer des idées. Le spectateur est en mode “détente” donc beaucoup plus ouvert à recevoir les messages que nous autres artistes essayons de diffuser. Rien de bien original : l’amour, la tolérance, le respect…

ClM : Un spectacle d’improvisation n’est-il pas la meilleure façon d’éviter le “trou de mémoire” et donc peut-être une forme de “trac” ?

J.M. : En fait l’improvisation théâtrale est mille fois plus difficile pour un comédien que l’interprétation d’un rôle écrit (qui bien sûr pose de son côté d’autres difficultés) car en plus de la casquette “interprète” on porte également celles d’auteur et de metteur en scène, et ce, en direct et sans temps de préparation. Donc côté “trac” c’est encore pire !

ClM : Entre Murder Party et improvisation où l’humour règne en maître, peut on vraiment mourir de rire ?

J.M. : Bien sûr que oui. Mais si c’est le cas, Holmes saura le voir et présentera vos meurtriers à la justice !

ClM : Merci Julien, retrouvons-nous le 18 mai à la librairie Un point un trait à Lodève dans une ambiance très XIXème !

Par Stephan Pahl

Questions à HAJAR AZELL

Hajar Azell sera à la librairie un point un trait le vendredi 8 avril 2022

Bonjour Hajar Azell ! Vous serez à la Cave de Cabrières près de Clermont l’Hérault pour une première rencontre ensuite à Lodève à la Librairie un point un trait pour participer à un atelier d’écriture puis à une rencontre suivie d’une séance de dédicaces ? Même les lycéens auront l’occasion de vous découvrir !

C le Mag : Votre premier roman L’envers de l’été est paru chez Gallimard, comment cela s’est déroulé ?

Hajar Azell : J’ai envoyé mon roman en avril 2020 à Gallimard et j’ai eu la chance d’être contactée quelques mois plus tard par l’un des éditeurs de la maison. C’est un rêve d’enfant qui se réalise pour moi qui ne connaissais absolument personne dans ce milieu.

ClM : Présentez-nous ce roman, L’envers de l’été.

H.A. : Dans la grande maison familiale au bord de la Méditerranée, Gaïa vient de mourir. May, sa petite-fille, qui a grandi en France, éprouve le besoin de passer quelques mois dans la maison avant sa mise en vente, en dehors de la belle saison. Elle y découvre, en même temps que la réalité d’un pays qu’elle croyait familier, le passé des femmes de sa lignée. En particulier celui de Nina, la fille adoptive de Gaïa, tenue écartée de l’héritage. Le paradis de son enfance se révèle rempli de blessures gardées secrètes.

ClM : Votre livre aborde différents sujets autour de la famille, quels sont-ils ?

H.A. : Mon roman sonne l’adieu aux mythes de l’enfance : l’été, la famille, la terre originelle. Cela m’intéressait de montrer comment une maison familiale – qui symbolise l’unité d’une famille – peut devenir l’objet de récits concurrents. Après la mort de la grand-mère, la maison est vendue et chacun de mes personnages écrit sa propre version des choses et emporte avec lui son lot de souvenirs. Au sein de la même famille, on n’est plus tout à fait sûr d’avoir vécu les mêmes choses. 

ClM : Le décor est une partie importante du récit, l’ici et l’ailleurs, pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

H.A. : Mon roman s’enracine dans un village imaginaire que j’ai nommé Tephles – en référence à Delphes, qui, selon la mythologie grecque, serait le centre du monde. Dans mon roman, Tephles est le lieu de rassemblement d’une famille éclatée entre plusieurs pays. C’est pour les uns, un lieu de retrouvailles estival et pour les autres, un lieu de vie. Le village et la maison familiale ont une dimension symbolique très forte pour la plupart des personnages. Gaïa, la matriarche, y a veillé. À Tephles, la maison, la terre, le soleil et la mer ont également une place centrale. Ils incarnent cette constance dont on s’accommode, siègent en rois dans une nature désertée. Alors que les villes s’étendent à toute allure, la nostalgie de ceux qui partent grandit, et avec elle, la souffrance des prisonniers d’un seul territoire. 

ClM : Au cours du récit nous alternons entre le passé et le présent, dans la mixité des générations à travers les yeux de deux personnages principaux May et Camélia. Qui sont-elles ?

H.A. : May et Camélia sont deux cousines du même âge. Elles ont des personnalités très différentes mais elles se construisent ensemble d’été en été. On suit leur découverte de l’amour et leurs premières aventures adolescentes… Ce roman raconte leur éloignement progressif à travers les souvenirs croisés des personnages. Les conflits de famille et l’éloignement géographique vont, petit à petit, éroder la pureté de leur relation d’enfant.

ClM : Vous écrivez dans votre roman (p. 139) : “L’écriture a cela de dangereux qu’elle crée un matériau intelligible pour les souffrances que l’on tait…” En quoi l’écriture est-elle la parole du silence ?

H.A. : Pour moi, le silence cache quelque chose de trop enfoui pour que la parole, seule, suffise à l’épuiser. A contrario, l’écrit est le territoire de la complexité, il donne à voir des vécus différents, fouille un sujet en profondeur. Un roman fait vivre de manière très sensorielle, très charnelle, le point de vue d’autrui. Il rend le silence et les colères accessibles, presque douces. 

© Francesca Mantovani 

ClM : Pourquoi est-ce dangereux de révéler ses souffrances ?

H.A. : Camélia – le personnage qui tient ce carnet et écrit cette phrase – est consciente du pouvoir de l’écriture sur sa propre prise de conscience des choses. Écrire contribue à faire exister les choses, cela leur donne de la valeur, un habit fait de mots et d’émotions. Dans le cas de Camélia, c’est de ses propres secrets qu’il s’agit. C’est comme si elle cherchait à s’en débarrasser tout en prenant conscience que quelqu’un pourrait alors les trouver.

ClM : À travers le personnage de May nous passons du monde de l’enfance à celui de l’adulte. De l’innocence de l’enfance aux secrets des adultes. Est-ce justement cela le monde adulte, la perte de l’innocence ?

H.A. : Oui, en partie. Et en même temps, le principe de réalité est nécessaire pour déconstruire les mythes de l’enfance. Cela permet aussi d’avoir un rapport plus sain aux choses. Pour May, par exemple, le passage à l’âge adulte va se traduire par la découverte de l’envers de ses étés. Toutes les personnes qui sont entre deux pays passent nécessairement par cette désillusion nécessaire qui n’enlève pas la beauté des choses. “Connaître un territoire, ce n’est pas seulement le chérir, c’est l’éprouver.” peut-on lire dans la deuxième partie du roman.

ClM : Amertume et rancœur d’un pays et village rêvé pour les uns, cauchemar ou prison pour les autres, idéal de vacances ou réalité du quotidien ? C’est quoi les vacances ?

H.A. : Les vacances c’est un moment collectif de création de souvenirs. Il y a quelque chose de très beau dans ces retrouvailles, dans ce temps non productif. Et en même temps, j’ai toujours trouvé qu’il y avait une forte injonction au bonheur pendant les vacances, a fortiori aujourd’hui avec les réseaux sociaux qui entretiennent encore davantage le mythe des vacances parfaites.

ClM : Le personnage de Camélia dit “Plusieurs fois j’ai eu envie d’écrire de vraies histoires” Qu’est-ce une vraie histoire ?

H.A. : Dans ses carnets, Camélia se moque de la construction que nécessite la fiction : l’intrigue, les indices qu’il faut laisser pour expliquer les rebondissements… “Bien sûr on peut toujours retrouver a posteriori les indices précurseurs de tel ou tel événement ou de telle ou telle réaction. Mais ça c’est une manie d’écrivain. La vie c’est autre chose.” écrit-elle.  C’était important pour moi de glisser l’idée, qu’après tout, en toute humilité, la fiction ne fait que coudre ensemble des événements qui n’ont pas toujours de lien. Le besoin de récit est un besoin terriblement humain mais ni la vie, ni la mort ne s’embarrassent de sens. Encore un mythe à déconstruire.

ClM : Merci Hajar et à très bientôt

Par Stephan Pahl

Questions à Patrice Gain

Patrice Gain. sera à la librairie un point un trait le jeudi 13 janvier 2022

C le MAG : Vous êtes ingénieur en environnement et professionnel de la montagne, votre cinquième livre paru en 2021 est De silence et de loup. Vos ouvrages abordent en filigrane la question du lien entre l’Homme et la nature, est-ce une question nécessaire aujourd’hui ?

Patrice Gain : J’écris des romans contemporains. Logiquement, la question du lien entre l’Homme et la nature revient dans mes textes. L’Homme exploite cette planète comme si tout lui appartenait, sans égard pour lui-même et a fortiori pour les espèces avec lesquelles il partage cet espace. Seuls comptent la croissance et le profit. Si les océans meurent, nous mourons et pourtant nous nous précipitons pour pêcher le dernier poisson, harponner le dernier cétacé et en prime nous y déversons tant de choses dont nous ne savons que faire. Les mers ne seront bientôt plus que d’immondes cloaques toxiques.

ClM : La nature, présente dans la plupart de vos écrits, est-elle tout autant un décor qu’un élément essentiel du récit au même titre que les personnages ?

P.G. : Quand j’écris, il me faut une histoire et un territoire, puis je pose mes personnages au milieu. Ils interagissent ensuite les uns avec les autres.

ClM : Lorsque Anna, le personnage de ce roman, rejoint une mission scientifique en Sibérie, vous racontez les difficultés administratives, mais aussi les obstacles que rencontre cette mission. Est-ce du vécu ? Mais surtout est-ce une façon de rappeler les difficultés des missions de recherche scientifique ?

P.G. : Oui, effectivement, rien n’est jamais écrit par avance quand on s’aventure dans ces territoires du bout du monde.

ClM : Dans votre livre, la recherche scientifique effectuée en Sibérie aborde la question des moyens dont elle dispose. La question des moyens est-elle une réalité des missions scientifiques en général et celles environnementales en particulier ?

P.G. : Paradoxalement, la recherche scientifique repose sur la volonté de quelques chercheurs, de quelques laboratoires universitaires, dont les financements émanent le plus souvent de grandes entreprises cherchant à “verdir” leur image.

ClM : Dans De silence et de loup, les grands espaces s’opposent à l’atmosphère confinée de vos personnages, Anna sur son bateau et Sacha dans la chambre du monastère. Comment se construisent ces oppositions ?

P.G. : Je voulais mettre en scène deux huis clos, celui d’Anna sur le voilier polaire et celui de son frère Sacha au sein du monastère de la Grande Chartreuse, congrégation cartusienne. Les grands espaces ne s’opposent pas à l’érémitisme, ils sont souvent, pour ne pas dire toujours, le cadre de vie de ceux qui s’y adonnent.

ClM :  Dans votre livre Denali, l’environnement naturel est à la fois le refuge et la source du danger pour Matt. Est-ce la même approche pour Anna dans De silence et de loup et pour Tom et Luna dans Le sourire du scorpion

P.G. : C’est vrai pour Tom et Luna, dans Le sourire du scorpion. En ce qui concerne Anna dans De silence et de loup, c’est différent. La toundra sibérienne, en hiver, est un lieu particulièrement hostile pour toutes personnes autres que celles natives des peuples indigènes de Sibérie.

ClM : Dans cette atmosphère pesante, oppressante, vous créez une ambiance qui caractérise les romans noirs, mais vous abordez aussi de nombreux sujets de société, (l’homosexualité, la vengeance, la pédophilie, la religion, le silence, la mort, la fratrie, …) lequel de ces thèmes vous tient le plus à cœur ?

P.G. : Je dirais la fratrie, parce que c’est là que résident les liens de l’enfance.

ClM :  Pensez-vous que le roman noir soit aussi un vecteur des questions d’actualité ?

P.G. : Incontestablement. Bon nombre de romans noirs sont en prise directe avec le monde. Ils tirent les fils de ce qu’il y a de noir en nous (et ils sont nombreux) pour, indirectement, dire comment notre monde tourne.

ClM : Dans De silence et de loup, vous abordez le thème de la violence faite aux femmes. Les réponses par les mots d’Anna et les actes de Jeanne sont-elles destinées à nous interroger sur la question de la vengeance et de la justice des Hommes ?

P.G. : La vengeance est la seule chose qui reste dans notre esprit quand l’abominable l’a vidé de sa substance. Ce n’est pas tant la justice des Hommes qu’elle interroge, mais l’Homme lui-même, dans sa propension à commettre des actes abjects.

© Chantal Briand

ClM : Le 13 janvier prochain, vous serez à Lodève à la librairie un point un trait, située au pied du Larzac, pas si éloignée des lieux évoqués dans Le sourire du scorpion. Seriez-vous inspiré par les grands espaces du Larzac et les terres rouges du Salagou ?

P.G. : Oui, sans aucune hésitation !

Par Stephan Pahl

Questions à Laure Noualhat

Dans le cadre de la venue de Laure Noualhat à la librairie un point un trait le samedi 25 septembre, nous avons questionné l’auteure sur son engagement écologique.

C le MAG : Vous êtes journaliste, écrivaine, réalisatrice, vous avez co-signé avec Cyril Dion le film “Après demain”, et les questions sur l’environnement ne vous laissent pas indifférente. Pourquoi faudrait-il éviter la fin de l’humanité, au risque de ne plus pouvoir faire des rallyes en 4×4 sur le bord des plages ?

Laure Noualhat : Je m’échine à vouloir éviter la fin de l’humanité pour les vacherins à la framboise, les tableaux de Jérôme Bosch, le risotto à la scamorza fumée, tous les albums de Charlélie Couture et tous les livres de Joyce Carol Oates, les films de David Lynch ou l’humour de Pierre Desproges. J’accorde tout mon crédit d’affection, sans appel, à Cent ans de solitude ou au Maître et Marguerite mais aussi au caramel au beurre salé qu’on ne trouve nulle part dans l’univers (tout comme le pâté en croûte d’ailleurs). Les humains qui pratiquent les rallyes en bord de plages peuvent y passer, peu me chaut tant qu’il restera de quoi siroter des pisco sour sur la même plage devant le plus brûlant des couchers de soleil en compagnie de mes plus chers amis. Et ils se comptent sur les doigts d’une main tchernobylisée.

ClM : Est-il plus facile d’être écolo en ville là où la campagne est loin, ou à la campagne quand la ville est loin ?

L.N. : Franchement, il n’y a que par chez vous que la campagne et la ville sont éloignées ! Je ne connais plus guère de corridors écologiques qui distinguent aussi nettement les deux mondes… Mais pour répondre à votre question, je dirais qu’il est difficile d’être écolo partout car dans ce vingt-et-unième siècle tordu, nous vivons un millefeuille d’incohérences majeures. J’ai souvent pensé que le suicide était le seul véritable geste écolo qui n’appelait aucune contradiction. À ceci près que ce geste définitif nous ôtait le pouvoir de débattre !

ClM : Est-ce que l’écologie supporte l’humour quand la fin du pétrole se fait attendre ?

L.N. : L’écologie n’échappe pas à la règle du monde : comme votre couple, l’économie ou la cuniculture, elle a besoin d’humour et de dérision, elle a besoin de cette petite “politesse du désespoir” qui met à distance le pire. Cela dit, vous avez raison, la fin du monde se fait attendre… mais j’ai confiance, elle ne nous décevra pas.

ClM : Bridget Kyoto1 est-elle née avec les accords de Jones ?

L.N. : J’ai mis dix minutes à comprendre la question. Mon avatar et anxiolytique majeur, Bridget Kyoto, est la veuve symbolique du protocole de Kyoto, elle propose une Minute nécessaire sur YouTube en hommage à notre maître à tous, Pierre Desproges. Elle traverse la vie avec son humour jaune, noir ou vert en bandoulière. Comme sa cousine Bridget Jones, elle compte ses kilos – mais de CO2 – vit sous perfusion de vin rouge – mais nature – et cherche l’amour inconditionnel – mais envers l’ensemble du vivant et pas à l’endroit d’un seul mâle alpha. Bridget vit dans le vide intersidéral des réseaux sociaux. Elle est la petite fille de Mamie Collapse, qui arrive bientôt pour vous dérider sur la question de l’effondrement.

ClM : En pleine pandémie, vous avez écrit “Comment rester écolo sans finir dépressif”. Y a t-il une cause à effet ?

L.N. : Je l’affirme avec force, pour un écolo radical qui a passé sa vie à s’engager, la catastrophe est la meilleure façon de sortir de la dépression. C’est bien normal, elle prouve qu’il ou elle n’était pas complètement schizophrène ou borderline, ni fou. N’est-ce pas freudien de jouir d’avoir raison ?! A chaque catastrophe, je couine de joie : Fukushima, inondations, incendies majeurs… C’est fou comme je vais bien ces temps-ci !

ClM : La décroissance est elle une idée croissante ?

L.N. : Tout à fait. La croissance de la déconstruction du monde est sans fin, sans limites. Comme une forme de grâce à être et à rester debout, nous devons – oui, nous devons – envahir chaque interstice politique qui s’offre à nous, marteler sans relâche que nous sommes du côté du Vivant et que nous nous battrons jusqu’au bout. Vu que nous allons tous y passer !

ClM : Pourquoi être écolo rend dépressif, alors que la mode littéraire propose l’écologie comme solution à la déprime libérale, c’est par où la sortie ?

L.N. : Ah oui ? La mode littéraire propose l’écologie comme solution à la déprime libérale ? Je trouve que vous oubliez un peu vite les best-sellers d’Éric Zemmour et de Luc Ferry ! Mais il est vrai que l’ensemble des éditeurs a enfin compris qu’il y a un filon. Et les libraires doivent désormais faire de la place sur les rayonnages pour les bio-best-sellers. Beaucoup d’ouvrages de solutions relativisent l’ampleur du mur qu’on va se prendre, d’autres sont riches de constats délétères, dans les deux cas, c’est une excellente nouvelle. Exploiter nos plantations d’arbres – que je n’ose appeler forêts – pour en faire de la pâte à papier sur laquelle imprimer que “sauver les conditions de vie sur Terre est une nécessité vitale” fait partie de la beauté de l’oxymore actuel. J’adore cette époque.

ClM : Faut il craindre la collapsologie, soutenir l’effondring et baigner dans la solastalgie ?

L.N. : Je vous vois venir : “ne vous complaisez-vous pas dans la déréliction du monde, chère Laure ?” Je m’appuie souvent sur la citation que Goethe n’a jamais écrite mais que tout le monde lui attribue: “Quoi que vous croyiez, quoi que vous fassiez, faites-le ! L’action porte en elle magie, grâce et pouvoir”. Voilà le bain le plus digne du moment : l’action, même infinitésimale, même ridicule… elles le sont toutes au regard de ce qu’il faudrait faire (diviser par six nos émissions de CO2 d’ici 20 ans, ne plus émettre un seul gramme de CO2 dans l’atmosphère dès 2050, et même avec tout cela, ça va swinguer pour les sociétés humaines dans les temps qui viennent). Il n’y a pas grand chose à craindre, sauf l’indifférence.

ClM : La Cogema a arrêté d’extraire l’uranium à proximité de Lodève dès la fin des années 90, pensez-vous que c’était en prévision de votre venue ? 

L.N. : Oui mon courroux est immense. Ils ont même changé de nom deux fois pour qu’on ne les trace plus. 

ClM : Parlez-nous de votre livre “Comment rester écolo sans finir dépressif” ? Pour qui et pourquoi ?

L.N. : Je l’ai écrit pour les lectrices et lecteurs des rapports du Giec, pour celleux qui fondent en larmes devant un paysage à couper le souffle. Pour celleux qui se croient seul.e.s au travail, à la maison, lors de fêtes de famille où la dinde cuite à point le dispute au gaspillage alimentaire. Je l’ai écrit pour moi car mettre tout cela à distance, après près de vingt ans de macération, m’a fait un bien fou. Puis je l’ai écrit pour mettre à jour ce que l’effondrement, l’état du monde…, peut générer d’émotions basses, pour qu’on parle de peine pour le monde, de colère, d’impuissance, d’immense tristesse… Et qu’on apprenne à les accueillir pour mieux les transformer. Être écolo et sensible à ce qui se passe par notre entière faute, c’est être câblé différemment, j’en suis convaincue.

Et c’est un signe d’excellente santé.

Par Stephan Pahl