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Questions à Patrice Gain

Patrice Gain. sera à la librairie un point un trait le jeudi 13 janvier 2022

C le MAG : Vous êtes ingénieur en environnement et professionnel de la montagne, votre cinquième livre paru en 2021 est De silence et de loup. Vos ouvrages abordent en filigrane la question du lien entre l’Homme et la nature, est-ce une question nécessaire aujourd’hui ?

Patrice Gain : J’écris des romans contemporains. Logiquement, la question du lien entre l’Homme et la nature revient dans mes textes. L’Homme exploite cette planète comme si tout lui appartenait, sans égard pour lui-même et a fortiori pour les espèces avec lesquelles il partage cet espace. Seuls comptent la croissance et le profit. Si les océans meurent, nous mourons et pourtant nous nous précipitons pour pêcher le dernier poisson, harponner le dernier cétacé et en prime nous y déversons tant de choses dont nous ne savons que faire. Les mers ne seront bientôt plus que d’immondes cloaques toxiques.

ClM : La nature, présente dans la plupart de vos écrits, est-elle tout autant un décor qu’un élément essentiel du récit au même titre que les personnages ?

P.G. : Quand j’écris, il me faut une histoire et un territoire, puis je pose mes personnages au milieu. Ils interagissent ensuite les uns avec les autres.

ClM : Lorsque Anna, le personnage de ce roman, rejoint une mission scientifique en Sibérie, vous racontez les difficultés administratives, mais aussi les obstacles que rencontre cette mission. Est-ce du vécu ? Mais surtout est-ce une façon de rappeler les difficultés des missions de recherche scientifique ?

P.G. : Oui, effectivement, rien n’est jamais écrit par avance quand on s’aventure dans ces territoires du bout du monde.

ClM : Dans votre livre, la recherche scientifique effectuée en Sibérie aborde la question des moyens dont elle dispose. La question des moyens est-elle une réalité des missions scientifiques en général et celles environnementales en particulier ?

P.G. : Paradoxalement, la recherche scientifique repose sur la volonté de quelques chercheurs, de quelques laboratoires universitaires, dont les financements émanent le plus souvent de grandes entreprises cherchant à “verdir” leur image.

ClM : Dans De silence et de loup, les grands espaces s’opposent à l’atmosphère confinée de vos personnages, Anna sur son bateau et Sacha dans la chambre du monastère. Comment se construisent ces oppositions ?

P.G. : Je voulais mettre en scène deux huis clos, celui d’Anna sur le voilier polaire et celui de son frère Sacha au sein du monastère de la Grande Chartreuse, congrégation cartusienne. Les grands espaces ne s’opposent pas à l’érémitisme, ils sont souvent, pour ne pas dire toujours, le cadre de vie de ceux qui s’y adonnent.

ClM :  Dans votre livre Denali, l’environnement naturel est à la fois le refuge et la source du danger pour Matt. Est-ce la même approche pour Anna dans De silence et de loup et pour Tom et Luna dans Le sourire du scorpion

P.G. : C’est vrai pour Tom et Luna, dans Le sourire du scorpion. En ce qui concerne Anna dans De silence et de loup, c’est différent. La toundra sibérienne, en hiver, est un lieu particulièrement hostile pour toutes personnes autres que celles natives des peuples indigènes de Sibérie.

ClM : Dans cette atmosphère pesante, oppressante, vous créez une ambiance qui caractérise les romans noirs, mais vous abordez aussi de nombreux sujets de société, (l’homosexualité, la vengeance, la pédophilie, la religion, le silence, la mort, la fratrie, …) lequel de ces thèmes vous tient le plus à cœur ?

P.G. : Je dirais la fratrie, parce que c’est là que résident les liens de l’enfance.

ClM :  Pensez-vous que le roman noir soit aussi un vecteur des questions d’actualité ?

P.G. : Incontestablement. Bon nombre de romans noirs sont en prise directe avec le monde. Ils tirent les fils de ce qu’il y a de noir en nous (et ils sont nombreux) pour, indirectement, dire comment notre monde tourne.

ClM : Dans De silence et de loup, vous abordez le thème de la violence faite aux femmes. Les réponses par les mots d’Anna et les actes de Jeanne sont-elles destinées à nous interroger sur la question de la vengeance et de la justice des Hommes ?

P.G. : La vengeance est la seule chose qui reste dans notre esprit quand l’abominable l’a vidé de sa substance. Ce n’est pas tant la justice des Hommes qu’elle interroge, mais l’Homme lui-même, dans sa propension à commettre des actes abjects.

© Chantal Briand

ClM : Le 13 janvier prochain, vous serez à Lodève à la librairie un point un trait, située au pied du Larzac, pas si éloignée des lieux évoqués dans Le sourire du scorpion. Seriez-vous inspiré par les grands espaces du Larzac et les terres rouges du Salagou ?

P.G. : Oui, sans aucune hésitation !

Par Stephan Pahl

L’idée Livres (2) – n°186

CONTES DE L’INATTENDU de Roald Dahl

RÉCITS – Illustré : 1568 pages Éditeur : Gallimard
Parution : septembre 2021
ISBN : 978 207 287 6493 

LE recueil de contes et nouvelles pour adultes de Roald Dahl, dont quatre nouvelles inédites en français et incluant également ses récits autobiographiques, Moi, Boy et Escadrille 80.

Principalement connu pour l’immense succès de son œuvre jeunesse (Matilda, Charlie et la chocolaterie, Sacrées sorcières…), Roald Dahl a pourtant écrit tout au long de sa vie des fictions pour adultes, le plus souvent sous la forme de courtes nouvelles teintées d’humour noir. Les histoires se déroulant principalement dans l’Angleterre des années 40-50, on pourra trouver au décor un charme un peu désuet mais le style et les personnages restent d’une étonnante actualité. On y retrouve une intrigue saisissante dès les premières lignes, des personnages criants de vérité et un dénouement toujours inattendu qui peut parfois faire grincer des dents. Mention spéciale pour Jeu, qui démontre, si besoin était, la puissance de l’imagination !


APAISER NOS TEMPÊTES de Jean Hegland

ROMAN – broché : 560 pages Éditeur : Phébus
Parution : août 2021
ISBN : 978 275 291 2350

Lorsque Anna, étudiante en photographie à Washington, et Cerise, lycéenne de milieu modeste en Californie, tombent enceintes par accident, chacune va faire un choix qui va déterminer le cours de sa vie. Des années plus tard, après avoir vécu l’expérience de la maternité de différentes manières, elles vont être réunies par le hasard.

Après Dans la forêt, Apaiser nos tempêtes est le deuxième roman de Jean Hegland à avoir été traduit en français. C’est une réflexion intime et approfondie sur la maternité, sur la difficulté d’être une mère mais également un roman sociologique sur notre monde actuel qui a vite fait de nous faire basculer dans la précarité et la pauvreté. Un roman réaliste et contemporain sur la vraie vie où les personnages sont des gens comme vous et moi confrontés aux difficultés et aux aléas de l’existence.


À MAINS NUES de Amandine Dhée

ROMAN – Poche : 120 pages Éditeur : La contreallée
Parution : octobre 2021
ISBN : 978 275 788 9640

Dans À mains nues, Amandine Dhée explore la question du désir à la lumière du parcours d’une femme et de ses expériences sexuelles et affectives. Comment devenir soi-même dans une société où les discours tout faits et les modèles prêts à penser foisonnent ?

La narratrice entrecoupe des passages écrits à la troisième personne où elle revisite des événements de son enfance et de son adolescence avec des passages à la première personne où elle raconte ses difficultés à concilier son nouveau rôle de mère avec ses aspirations de femme. Sans geindre, sans s’attendrir sur son sort, elle expose ses doutes, cherche des pistes qu’elle expérimente directement ou à travers le témoignage de proches, pour se rassurer, essayer d’avancer. Après La femme brouillon, sur la grossesse et la maternité, Amandine Dhée nous livre un témoignage sur le désir sincère, intime, percutant, nourri de réflexions intelligentes sur le féminisme à chaque âge de la vie. À mettre entre toutes les mains !


LE SERMENT de Arttu Tuominen

DRAME – Broché : 448 pages
Éditeur : La Martinière
Parution : septembre 2021
ISBN : 978 273 249 6665 

Dans les prairies sauvages de Finlande ressurgissent les souvenirs d’une enfance féroce, les traumatismes du passé. Entre les courses à vélo et les vengeances à la sortie de l’école, un pacte de sang a été scellé. Un serment qui se rappellera à eux trois décennies plus tard. 

Très bonne surprise. Un polar finlandais sensible et intelligent. L’histoire de vies dont les destins prennent leurs sources dans les drames du passé. Des enfances cabossées, des pères violents, des amitiés fortes et des pactes secrets. Une écriture fluide et accrocheuse. Un bon rythme, on est tenu en haleine et on ne s’ennuie jamais. Petit bémol, une fin un peu rapide. 

par la librairie un point un traitwww.unpointuntrait.fr

L’idée Livres (2) – n°185

ARTIFICES de Claire Berest

ROMAN – Broché : 308 pages
Éditeur : Stock
Parution : Août 2021
ISBN : 978 223 408 9983

Abel Bac, flic solitaire et bourru, évolue dans une atmosphère étrange depuis qu’il a été suspendu. C’est cette errance que vient interrompre Elsa, sa voisine, lorsqu’elle atterrit ivre morte un soir devant sa porte. 

Beaucoup aimé. Un style accrocheur et tout en nuances. On entre tout de suite dans l’histoire et on est très vite attaché aux personnages. Abel Bac, un flic triste et désabusé et Mila, une artiste troublante et mystérieuse. Abel et Mila ont vécu un drame par le passé et tout va finir par les rapprocher. Construit comme une enquête policière, on cherche avec Camille (la collègue d’Abel) à comprendre le fin mot de l’histoire et on n’est pas déçu par le dénouement qui est à la hauteur de nos attentes. Original et efficace.


LES AMANTS MÉTÉORES de Éloïse Cohen de Timary

ROMAN – Poche : 288 pages
Éditeur : Livre de Poche
Parution : juin 2021
ISBN : 978 225 326 2091

Un soir, dans un bar, Marianne fait la rencontre de Virgile, un paysagiste talentueux et fantasque. Très vite, c’est l’évidence : ils s’aiment comme on ne s’aime qu’une fois.

Véritable coup de foudre pour ce petit roman très émouvant. Un chassé croisé entre deux destins. Celui de Marianne et de Virgile, un couple unique et magique, fou d’amour et celui de Florence, médecin anesthésiste qui après LE drame va prendre tous les risques. Une écriture originale avec des ponctuations étonnantes, avec un style narratif qui mélange la troisième personne et la première, qui alterne le familier et le littéraire…, et surtout des personnages forts et attachants. Deuxième roman de cette auteure à suivre assurément.


DE SILENCE ET DE LOUP de Patrice Gain 

ROMAN – Broché : 272 pages
Éditeur : Albin Michel
Parution : septembre 2021
ISBN : 978 222 646 2022

Tiksi, ville portuaire oubliée aux confins de la Sibérie, accessible par avion ou par bateau deux ou trois mois l’an. C’est là, à 700 kilomètres derrière le cercle polaire, qu’Anna rejoint une équipe de scientifiques qui s’apprête à hiverner sur la banquise à bord d’un voilier.

Patrice Gain a encore frappé. Un récit fluide et tendu à la fois. Toujours en lien avec la nature et ses rudesses. Il raconte ici une histoire d’aventure sombre et triste sur la nature humaine dans le climat extrême de la Sibérie à travers le récit d’Anna journaliste scientifique. En complète empathie, nous souffrons avec Anna des drames à répétition qu’elle a vécus (perte de sa petite fille, de sa compagne et bientôt de sa propre vie). Ce sont dans ses derniers moments qu’Anna trouvera les réponses à ses questions, notamment sur son frère qui s’est retiré dans un monastère jusqu’à la folie. 

Beaucoup de noirceur et de réalisme dans ce quatrième roman coup de poing.


SEULE EN SA DEMEURE de Cécile Coulon

ROMAN – Broché : 333 pages
Editeur : L’iconoclaste
Parution : août 2021
ISBN : 978 237 880 2400

Perché dans les forêts du Jura, un domaine dédié à l’exploitation du bois avec, au milieu des sapins, une grande bâtisse. Une jeune femme, Aimée, devient l’épouse du maître de maison. Dans cet univers sauvage et grandiose, elle tente de trouver sa place dans une famille chargée d’histoire.

Encore une belle réussite ! Décidément cette auteure ne cesse de nous étonner par sa maturité et son aisance dans la narration. Elle parvient à nous passionner sur n’importe quel sujet, avec beaucoup de fluidité dans son récit et de rebondissements savamment dosés. 

Des histoires d’hommes et de femmes, tendues par des secrets, des drames cachés… Des histoires d’amour contrariées et jamais simples. L’histoire de la vie en somme.

par la librairie un point un traitwww.unpointuntrait.fr

L’idée livres (1) – n°183

LES TROIS FENÊTRES de Jean-marie Nicolle

Essai – Broche : 130 pages
Éditeur : IPagine
Partion : janvier 2021
ISBN-13 : 979-1097023669

Jean Marie Nicolle est un philosophe, spécialiste du penseur du quinzième siècle, Nicolas de Cues. Dans cet ouvrage, il s’interroge sur la notion métaphorique de la fenêtre à travers trois étapes : le temple, le tableau et nos écrans connectés. C’est donc à la fois un voyage intellectuel dans l’évolution des intermédiaires entre nous et le réel, entre l’Antiquité et aujourd’hui, mais aussi une réflexion sur l’attitude que nous devrions avoir face à ces “fenêtres” sur le monde envahissantes que sont les smartphones. Comment rester indépendant ? Des pistes sont proposées.

Lire un ouvrage de philosophie est toujours stimulant, surtout lorsqu’il s’intéresse à nos vies quotidiennes. Celui-là va au-delà : il nous propose d’abord de revenir sur ce qui a fondé les premières fenêtres spirituelles avec les temples de l’Antiquité et de la chrétienté, puis ce que l’invention de la perspective a permis à partir du quinzième siècle : la naissance du sujet qui interprète le monde. Mais là où le livre devient vraiment mordant, c’est dans son analyse de l’impact de l’informatique (c’est-à-dire le traitement de l’information et non la maîtrise des connaissances) et surtout l’emprise des géants du net dans nos existences, pillant et revendant des informations sur nos vies privées. Le livre est d’autant plus stimulant qu’il est clair et assez court pour ne pas perdre ceux qui redoutent la lecture des livres de philosophie. Il donne l’impression de s’endormir moins bête une fois refermé car il a le souci de donner des conseils pratiques pour échapper à l’hydre qu’est devenue Internet. 


LE SILENCE DE LA VILLE BLANCHE de Eva García Sáenz de Urturi 

POLAR – Broché : 560 pagesÉditeur : Fleuvenoir
Parution : septembre 2020
ISBN-13 : 9782265144316

Dans la cathédrale de Sainte-Marie à Vitoria, un homme et une femme d’une vingtaine d’années sont retrouvés assassinés, dans une scénographie macabre : ils sont nus et se tiennent la joue dans un geste amoureux alors que les deux victimes ne se connaissaient pas. 

Très belle découverte. Un démarrage original, une suite captivante et un final à la hauteur. Des personnages forts et attachants, une découverte des coutumes basques et visite du pays sans ennui, que demander de plus ? : Que ce cinquième roman de l’auteure (mais premier roman traduit en français), soit le début d’une longue série ? Oui ! 


CE LIEN ENTRE NOUS de David Joy

DRAME – Broché : 304 pages
Éditeur : Sonatine
Partion : septembre 2020
ISBN-13 : 978-2355847295 

Le point de départ de Ce lien entre nous est le meurtre accidentel de Carol Brewer par Darl Moody, alors qu’il braconne. Celui-ci va paniquer et cacher le corps avec l’aide de son meilleur ami. Le frère du défunt, connu pour sa violence, aura vite fait de remonter la piste des deux hommes…

David Joy est un jeune écrivain américain et Ce lien entre nous est son troisième roman. Ses livres se déroulent tous dans la région des Appalaches, territoire vaste et hostile, et mettent en scène des personnages ordinaires, souvent d’origine modeste et en proie à des addictions, dans des situations extrêmes. 

David Joy explore les limites de notre humanité dans un style percutant, le rythme est implacable et s’accélère jusqu’au dénouement final. Un roman très noir mais également très touchant, dont l’ambiance et les personnages nous hantent longtemps après avoir tourné la dernière page.


Dr. STONE de Riichiro Inagaki et Boichi

Shõnen – Manga – 208 pages Éditeur : Glénat
Parution : avril 2021
ISBN-13 : 978-2344045404

Senku réalise une expérience dans la salle de chimie de son école. Son meilleur ami Taiju est sur le point d’avouer ses sentiments à Yuzuriha. Mais avant qu’il ne puisse faire quoi que ce soit, tous les humains de la planète sont instantanément transformés en statues de pierre.  

3700 ans plus tard, Senku se réveille mystérieusement. Il découvre une terre où la nature a repris ses droits, où la technologie a disparu et où la science a été oubliée. Mais pas pour Senku, lui qui construisait des fusées miniatures à 6 ans. Après avoir réussi à “dé-pétrifier” ses amis, il décide de reconstruire une civilisation nouvelle à l’aide des méthodes scientifiques.

Nombreuses sont les péripéties et les défis que nos héros devront relever. Les rencontres ne cesseront pas de nous surprendre et l’intrigue nous tiendra en haleine sur toutes les planches de chacun des tomes. Des personnages attachants aux personnalités variées, dans un monde improbable dévasté par le temps…


par la librairie un point un traitwww.unpointuntrait.fr

Femmes, je vous aime…

Le 8 mars est la journée Internationale des femmes qui a un sens ambigu : pourquoi une seule journée ? Pourquoi une journée au même titre que tous les autres combats ? Est-ce que être femme est si spécial ? N’est-ce pas là une autre manière d’indiquer le pouvoir des hommes sur les femmes ? Simone de Beauvoir dès 1949 réfléchissait sur cet état de fait.

En cette fin 2019 une polémique d’un autre âge a fleuri sur les réseaux sociaux à propos d’une publicité qui pourtant fait référence à un souci banal chez les femmes : une publicité pour les protections féminines1. Des commentaires incroyables de violence ont été écrits. Je ne peux pas tous les reproduire, mais je vais juste vous proposer l’extrait de celui d’un homme légèrement… comment dire ? misogyne ? : « c’est pas le corps d’une femme,… c’est nous obliger de voir des grosses qui portent des culottes et des serviettes remplies. Les règles, l’urine, le sperme, les excréments tout ça c’est naturel. Mais je ne veux pas le voir sur mon écran quand je rentre du boulot. En plus c’est à moi de parler de ça à mes enfants, pas à la télé. » Pourquoi une telle agressivité ? Pourquoi un tel rejet alors qu’il y a des chances (ou des risques…) que cette personne laisse ses enfants regarder des programmes télévisés où la violence physique règne dans une hémoglobine écœurante sans s’inquiéter pour l’hyper sensibilité de sa progéniture. Pourquoi ne veut-il pas qu’ils voient ce qui est « naturel » ? Est-ce que cette polémique est la suite d’un des problèmes les plus épineux qui peut se transformer en crise pour notre société française en pleine mutation : le respect des droits de la femme en passant par la reconnaissance des difficultés et de la violence auxquelles elles font face ? Car nous assistons à un double mouvement : à la fois le mouvement #MeToo et la lutte contre le féminicide qui connaissent un succès sans précédent ; mais il y a aussi le déclenchement de forces inverses : des hommes qui se sentant agressés préfèrent attaquer en revendiquant ce qui serait leur identité de mâle hétérosexuel.

Est-ce que c’est récent ? Non. Tout le XXe siècle a connu ce mouvement incessant. Et la première philosophe qui a écrit sur ce sujet l’a fait tout de suite après la Seconde Guerre mondiale. Il s’agit de Simone de Beauvoir, avec le Deuxième sexe. Ce livre a valu à la compagne de Jean-Paul Sartre (d’ailleurs souvent ramenée à ce simple statut de « compagne d’un homme célèbre ») d’être victime d’attaques odieuses sur sa personnalité, agressée jusque dans la rue par des passants ; le Saint Siège a même mis ce livre à l’Index – fait rare au XXe siècle ! Comme un retour de l’Inquisition ! Ce qui a peut-être paru aux yeux de la philosophe comme une forme d’honneur. Aujourd’hui encore c’est dans le monde un des livres de philosophie le plus lu et le plus commenté (et bizarrement la France fait exception à cela. Nul n’est prophète en son pays !). Quel est le contenu de ce chef-d’œuvre ? Il s’agit d’un tour d’horizon des agressions faites contre les femmes à travers les âges. Mais il faut le mettre en écho avec un autre texte, dont le titre est à la fois éclairant et énigmatique : On ne naît pas soumise, on le devient de Manon Garcia (Ed. Climats/Flammarion, 2018). Ces deux textes qui se répondent vont nous donner des éléments de réflexion sur la définition même du féminisme.

Commençons par le plus ancien et de loin le plus connu : Le deuxième sexe fut écrit en deux tomes, le premier consacré aux mythes qui ont fondé la domination masculine, la femme y est étudiée grâce à toutes les méthodologies scientifiques à notre disposition, anthropologique, psychologique, littéraire, historique. Et la thèse défendue est que l’oppression subie par les femmes s’explique non sous un seul angle mais sous une multitude. Le premier angle serait les différences biologiques (grossesse, allaitement, menstruation, etc…) qui veulent expliquer certaines situations de dépendance mais qui ne peuvent pas les justifier, cela prend toujours un point de vue partial, celui du mâle dominant. L’histoire est celle de l’homme, pas de la femme. Si nous voulons généraliser ce thème, l’homme s’est toujours réservé l’axe de la transcendance, c’est-à-dire la force qui est « au-dessus» et qui donne du sens ; alors que la femme est liée à l’immanence : toujours présente, elle en devient presque invisible aux yeux des acteurs. D’où cette phrase célèbre, extraite de ce livre révolutionnaire à l’époque : « La femme se détermine et se différencie par rapport à l’homme et non celui-ci par rapport à elle ; elle est l’inessentiel en face de l’essentiel. Il est le sujet, il est l’absolu : elle est l’autre. » L’exemple le plus clair est sans doute le mythe de L’Eternel féminin, véritable paradigme dans le sens où il a longtemps structuré les manières de penser, et qui a toujours piégé les femmes vers un idéal par définition inatteignable (nourri par les mythes de la mère aimante, la vierge Marie, la mère patrie, la nature comme puissance féminine), en niant surtout leur propre individualité : les femmes n’ont pas le droit d’être elles-mêmes ; il faut refuser leurs singularités et les difficultés de leurs situations particulières. L’éternel féminin va créer, selon Simone de Beauvoir, une attente qui n’est jamais comblée, une femme ayant une personnalité toujours inachevée. 

Face à ces mythes, dans le volume II de son œuvre, Simone de Beauvoir dénonce l’enfermement que connait – à son époque – la plupart des femmes, de par leur éducation, leurs relations sociales, leurs vies intimes. Ce deuxième volume nait avec la célèbre phrase : « On ne nait pas femme, on le devient ». C’est-à-dire une réflexion sur l’endoctrinement social qui entoure la vie d’une femme qui est obligée au fur et à mesure qu’elle comprend les forces en jeu et mises en place par les hommes, d’abandonner ses rêves et/ou ses revendications. Thèse politique en cette France de 1949 où les femmes venaient certes d’obtenir le droit de vote mais où juridiquement elles étaient encore considérées à vie comme mineures, n’ayant pas le droit de signer un contrat de travail ou d’ouvrir un compte bancaire sans en référer à leur tuteur – père, frère ou mari. La transcendance du chef de famille face à l’immanence de la mère qui doit se charger de toutes les tâches du quotidien, jusqu’à assumer la libido de ce mari qui donne l’identité sociale du foyer grâce à son activité salariée. L’homme tente de faire de la femme un simple objet. Mais deux points viennent tempérer cette noirceur : à la fois la femme existe et c’est son existence qui va définir son existence, mais il arrive régulièrement que les femmes participent à leur domination en épousant des idéaux qui nuisent à sa liberté : par exemple l’amoureuse qui fuit sa liberté pour se soumettre à l’être aimé. Ou bien la mystique qui voue à Dieu un amour absolu qui laisse libre cours à la domination masculine de la société politique – la vraie. Ainsi le Deuxième sexe se termine non pas par une description purement théorique et historicisante de la femme mais par des engagements politiques, notamment en faveur de la maitrise de son corps, de ses désirs, en un mot le droit à l’avortement. Simone de Beauvoir elle-même dans son existence de grande intellectuelle a illustré cette lutte : elle se voulait indépendante tout en assumant son éducation de jeune fille rangée, compagne d’un homme célèbre, mais femme libre qui assumait ses fêlures et ses contradictions. Cette chronique n’est pas le lieu d’une biographie, mais intéressez-vous à cette grande dame, car sa vie tout entière fut un engagement pour sortir la femme des mythes construits par les hommes. 

Ce texte vieux de 70 ans a le mérite donc de poser les jalons de la réflexion. Mais qu’en est-il aujourd’hui ? Au lendemain de l’affaire Weinstein qui, par ondes de choc successives, a libéré la parole de nombreuses femmes, y compris des plus connues qui furent victimes d’agressions sexuelles et de violence, nous assistons néanmoins à un mouvement opposé : Catherine Millet publia il y a 20 ans des chroniques sur sa vie débridée et E. L. James eut un succès retentissant avec 50 nuances de Grey. Les deux romans font l’apologie de la soumission de la femme. Pourquoi en ce début de XXIe siècle de tels phénomènes se produisent ? La femme est-elle définitivement, de par sa nature, vouée à subir la domination masculine ? Est-ce que Simone de Beauvoir s’est trompée ? C’est ce que veut examiner Manon Garcia dans son essai philosophique2. Selon elle la plupart des théories féministes ne pensent pas à la soumission, de peur de donner des arguments à tous les « penseurs » machistes, alors qu’au contraire il faut s’interroger sur cette tendance inscrite chez toutes les femmes, cette tentation de se soumettre. Etienne de La Boétie, au XVIe siècle fut le premier à s’intéresser aux relations de soumission, aux raisons pour lesquelles un peuple peut accepter d’obéir à un souverain, à perdre sa liberté3. Mais il n’y a jamais eu personne pour réfléchir aux relations de soumission entre deux personnes qui, a priori, sont égales en droit. 

Une juriste américaine, Catharine MacKinnon (citée dans l’essai de Manon Garcia) permit de donner la définition juridique du harcèlement sexuel et a longtemps lutté pour l’interdiction de la pornographie et la reconnaissance du viol comme crime de guerre après le conflit bosniaque ; elle s’appuya pour cela sur une thèse que Manon Garcia fait sienne : la différence sexuelle entre l’homme et la femme (actif/passif) est le résultat non d’une différence de nature mais de rapports de force. Mais on ne peut pas comprendre ce rapport de force et sa pérennité si on n’aborde pas la question du regard des femmes sur la soumission. Soumettre est un verbe transitif (soumettre quelqu’un, c’est-à-dire le réduire à l’état d’esclave) mais aussi un verbe pronominal (se soumettre). Il y a donc trois problèmes, que Manon Garcia ne résout d’ailleurs pas – car la philosophie est davantage l’art de soulever les problèmes plutôt que d’apporter une Vérité toute faite : il y a un problème juridique (ce que les femmes ont le droit de revendiquer dans la défense de leur intégrité et leur dignité), le problème moral (faut-il condamner et donc moquer ces femmes qui acceptent ce rôle de femmes soumises) et le problème politique (la politique dans le sens de la recherche de la vie bonne) : est-ce que la société va être capable de muter pour que les femmes soient respectées dans leur volonté d’être libres, de ne plus être soumises à un pouvoir masculin ? Cette polémique autour des serviettes hygiéniques nous oblige à rester prudents : certes tous les jours des scandales éclatent et, pour reprendre une phrase maintes fois entendue, la peur change de camp, les prédateurs sexuels savent qu’ils ne connaîtront plus l’impunité et le silence de la société. Mais pour autant est-ce que la femme sera acceptée dans toutes ses dimensions, sans être réduite à un être qui doit se justifier, se cacher, avoir honte de son corps. Sans doute la vraie mesure ne sera pas les discours politiquement corrects tenus dans les médias, mais dans la mesure des commentaires toujours très violents et spontanés qu’on peut trouver sur les réseaux sociaux.

Par Christophe Gallique

Tronc

La communauté de communes lance, avec la Fondation du patrimoine, une campagne de financement participatif pour la rénovation de deux espaces emblématiques de l’abbaye d’Aniane : le cloître et la chapelle. Il fut un temps où le financement participatif de l’état s’appelait l’impôt ! Plus d’info : https://www.cc-vallee-herault.fr/actions-et-projets/culture/abbaye-d-aniane-263.html

De l’Hérault aux Grandes Ecoles

Ancienne élève du lycée Jean Moulin de Pézenas, j’ai pu constater du peu d’informations transmises concernant notre orientation par nos lycées héraultais. Aujourd’hui en licence science politique à Rennes, j’ai décidé de participer à ce combat contre le manque de communication entre les filières sélectives et les lycées de provinces. Pour cela, je me suis impliquée dans De l’Hérault aux Grandes Ecoles, association luttant contre ces inégalités.

Samedi 7 décembre 2019, l’association De l’Hérault aux Grandes Ecoles a organisé pour la première fois une “Journée Culturelle”. Cet évènement s’est déroulé dans le cadre d’ateliers gratuits accompagnant les lycéens dans leur préparation aux concours des IEP et de Sciences Po Paris. Le programme de cette première édition était axé autour des thèmes présentés au concours commun des IEP : le secret et la révolution.

Durant cette journée, ils ont d’abord pu bénéficier d’une visite guidée du musée Fabre de Montpellier sur le thème de la révolution. Cette visite a été, à mon sens, l’occasion pour les lycéens de poser un regard neuf sur les collections du musée Fabre et peut leur donner envie de plus fréquenter les musées. Cela a été suivi d’un déjeuner organisé dans “La Brasserie du Dôme”, qui a permis un rapprochement entre les membres de la prépa permettant ainsi de plus les inciter à travailler ensemble. Pour terminer cette journée, une table ronde a été organisée sur le thème du secret avec des intervenants tenus par le secret professionnel.

En tout, elle a regroupé 32 participants, et leur a permis d’approcher les thèmes imposés par les concours de façon plus concrète et ainsi leur donner une chance de se différencier des autres concurrents. Cette première édition a donc été un succès et d’autres événements de ce type seront organisés dans les prochains mois à destination, cette fois, de tous les lycéens héraultais. 

Créée en 2018 par Clémence Quinonero, De l’Hérault aux Grandes Écoles est une association locale. Constatant le cruel manque d’information sur l’orientation dans les lycées ruraux, cette dernière a pour principal objectif de favoriser l’égalité des chances en comblant ces lacunes. Ainsi, la présidente a fait de l’association un véritable instrument de lutte contre les inégalités subsistant dans les milieux ruraux tout en permettant aux lycéens de bénéficier d’aides à l’accès aux informations et à la culture.

Par exemple, l’association a mis en place un système de parrainage regroupant 31 anciens lycéens héraultais ayant intégré des filières sélectives qui, sur la base du volontariat, conseillent et aident des lycéens à préparer leur orientation. Les plus actifs ne se contentent pas du parrainage et font vivre De l’Hérault aux Grandes Écoles de différentes manières. Clément Cherici par exemple, est en master à Sciences Po Paris et fait régulièrement des allers-retours pour intervenir dans les lycées ou veiller à ce que les projets se mettent bien en place. Ces interventions dans les lycées sont une partie importante du travail de sensibilisation. Elles consistent à aller dans les lycées partenaires pour parler directement aux élèves de l’association et de ce chemin sinueux qu’est l’orientation. Généralement organisée par deux étudiants aux profils différents, l’intervention débute par une présentation de l’association et de ses projets et termine par une foire aux questions pour laisser les élèves s’exprimer sur le sujet. L’élément clef de ces dernières est : la proximité. C’est ce qui fait la particularité de l’association. C’est ce qui permet d’instaurer une certaine confiance entre lycéen et étudiant car sans cela l’association perd tout son sens. C’est avec cet objectif en tête qu’elle met en place tous ces projets proposés aux élèves. En un peu plus d’un an, l’association a donc aidé une cinquantaine de lycéens, et a permis à certains d’intégrer de grandes écoles telle que l’École Spéciale des Arts Appliqués de Paris.

Pour continuer dans cette lignée, une prépa gratuite a été mise en place en septembre 2019 à Clermont l’Hérault et Castelnau-le-Lez pour aider les étudiants dans leur préparation aux concours des IEP et de Sciences Po Paris. Pour Nicolas Lassus, un élève en première du lycée Joseph Vallot de Lodève, cette prépa est “une chance d’accéder à l’univers des grandes écoles malgré les difficultés”, ce dernier nous témoigne également de l’intérêt porté par les professeurs intervenants sur la préparation des concours et la motivation des élèves. Ayant lieu tous les samedis, la prépa fait intervenir trois professeurs de lycée de façon bénévole pour préparer les sujets exigés au concours. Du côté des élèves cela demande une importante rigueur surtout pour ceux ayant pour ambition de passer le concours de Sciences Po Paris. Cette prépa permet donc aux élèves les plus motivés de combattre ce plafond de verre instauré par la ruralité. De plus, parallèlement à ces ateliers, un suivi poussé est organisé par l’association avec des anciens lycéens de la région qui ont connu l’expérience des IEP ou Sciences Po Paris. Selon Maguelone Pénalver, élève du lycée Saint Guilhem, l’aide de son parrain lui a été précieuse et est, pour elle, un exemple de réussite. Les parrains/marraines doivent instaurer un suivi régulier avec leur filleul en les appelant régulièrement et les encourageant dans leurs démarches. C’est donc dans ce cadre-là que s’est mise en place la journée culturelle du 7 décembre. L’investissement des parrains/marraines est donc crucial, ainsi que celui des intervenants. Mais avant tout, ce sont les lycéens qui sont les acteurs de leur orientation.

L’association a donc un bel avenir qui s’offre à elle ; pour l’instant cantonnée à la vallée de l’Hérault, elle commence à se développer et à toucher de plus en plus d’établissements. En à peine un an, elle a réussi à construire un réseau de partenaires et à monter une série de projets marquants et importants. Cependant, aujourd’hui l’association touche essentiellement de bons élèves déjà motivés et informés sur leur avenir, et n’arrive pas encore à toucher les lycéens moyens “oubliés” du système. D’une manière plus générale cela n’est que le reflet des lacunes du système éducatif français ne mettant en valeur que les filières sélectives élitistes. La revalorisation de filières reléguées au second plan tels que les BTS ou les DUT, pourrait permettre une représentation plus complète des parcours d’orientation. Et, à mon sens, cette revalorisation pourrait passer par des associations comme De l’Hérault aux Grandes Ecoles de par la diversité de leurs membres et de leur volonté de casser les codes de l’éducation française.

Ainsi, l’objectif de cette association est réellement prometteur et nous donne de l’espoir quant à l’égalité des chances. Elle est la preuve vivante que, aujourd’hui, les Grandes Ecoles ne sont plus réservées à l’élite parisienne. Et pour reprendre les mots de Maguelone Pénalver “il est important que les jeunes issus de tous les territoires, ruraux notamment, soient représentés dans les grandes écoles […] c’est une question d’équité et d’équilibre du territoire”.

Par Margaux

Le sarcophage de Joncels

Passant, si un jour tes pas te guident jusqu’au beau village de Joncels, n’oublie pas de te recueillir quelques instants sur le sarcophage enserré dans un pilier des anciens remparts qui ceinturent l’église.

Il y a très longtemps, quand les rois wisigoths régnaient sur cette terre qui s’appelait encore la Septimanie, les bois de l’Escandorgue s’étalaient sur une très vaste étendue. Royaume des grands animaux, ces forêts pouvaient se montrer meurtrières pour les chasseurs les plus aguerris.

Un jour de ces temps anciens, alors que l’aube pointe, un impitoyable chasseur à la barbe hirsute, lance à la main, pourchasse sans répit un sanglier aux défenses aiguisées. En milieu de matinée, sur son cheval blanc d’écume, il débouche sur le plateau de Capimont. Egaré et rageur d’avoir perdu sa proie, il hèle d’une voix tonitruante une belle jeune bergère.

– Par saint Cocufat ! Dis-moi, la donzelle, qui es-tu et que fais-tu là avec tes moutons ? Ne sais-tu pas que ces terres sont miennes ? 

A ce moment, l’agréable bergère se retourne et tout apeurée, lâche sa quenouille dont le fil se dénoue.

– Je m’appelle Anne, messire, dit-elle d’une voix fluette, et je garde les moutons de mon maître le seigneur de Poujol.

Etonné par une telle beauté, le chasseur prend un peu de temps pour la dévorer du regard et tout en s’approchant, il lisse sa barbe noire comme la nuit.

– Tu me parais bien jeune et jolie pour une telle besogne. Suis-moi en mon castel, qui se trouve au-dessus des nuages, et je te promets que tu n’auras plus jamais de corne aux mains ! dit-il d’une voix suave et un sourire en coin.

La jeune femme éclate alors de rire et répond d’un ton malicieux : – Messire ! Que de bonnes et belles paroles ! Votre voix mielleuse et vos promesses de volupté éternelle pourraient tenter une jeune âme en peine autre que la mienne. Mais, nous connaissons tous les deux votre nature profonde ; vous êtes un chasseur et seule la traque vous allèche. Et puis, vous savez messire, il me semble qu’ici-bas ou là-haut dans les nuages, une pastourelle reste pastourelle… Puis d’une voix sèche, elle lance au visage renfrogné du séducteur – Vous êtes, tel Simon le Magicien, tentateur et corrupteur.

Le chasseur, vexé d’avoir été démasqué par une simple bergère, s’avance d’un pas ferme et agrippe son poignet violemment.

– A partir de cet instant, je te prends à mon service et dès demain tu te présenteras en mon château que tu vois là-bas, au sommet de la montagne. Si tu n’y viens pas, je te retrouverai et te ferai subir mille morts ! menace-t-il d’un ton caverneux.

– Mais c’est la demeure du cruel châtelain de Mourcairol ! Il paraît qu’il n’hésite pas à éventrer et à empaler ses serfs s’ils ne s’agenouillent pas sur son passage ! réplique Anne tremblante.

– Tu dis bien, je suis Isiates de Mourcairol, seigneur de cette contrée. Du plus profond de ma mémoire, mon lignage a toujours détenu ces terres. Le premier de ma race se dénommait Isios et accompagna César dans sa lutte contre les hommes de la Gaule chevelue. En remerciement, il reçut toutes les terres qui nous entourent. Tu comprends maintenant que ton destin est scellé et que toute résistance est vaine, s’exclame Isiates d’une voix satisfaite. Allez, cela suffit ! Viens avec moi et laisse tes moutons dans ces pâtures. 

Et d’un coup sec, il tire Anne vers lui. Tout en résistant à sa traction, la jeune bergère de Capimont parvient à tourner son poignet et à échapper à l’emprise d’Isiates.

– Non, mauvais baron, je ne vous suivrai pas dans votre repaire de brigands ! Laissez-moi ! Plutôt mourir que de vous accompagner ! Si vous faites un pas de plus, je me jette au bas de cette falaise, lance-t-elle au visage du pervers maître de Mourcairol.

A ce moment, le baron de Mourcairol tente désespérément de se ressaisir de la jeune fille. Apeurée par le regard satanique du baron, elle se débat et arrive à s’en écarter. Malheureusement, dans ses efforts, le sol de la falaise se dérobe et, perdant pied, Anne, dans un cri d’effroi, plonge dans le vide. Tout aussi malchanceux, l’odieux Isiates de Mourcairol suit la bergère dans sa chute et à peine arrivé au sol, est comme aspiré dans les entrailles de la terre. Quant à Anne, comme par miracle, soutenue par une main invisible, elle vole, tel un goéland. Durant un instant, elle s’amuse avec les nuages, tourne autour, les traverse ou encore fait la course avec eux. Puis, pour reprendre son souffle, elle plane tout en admirant les petites maisons qui défilent sous elle. Reposée, elle virevolte à toute allure entre les collines verdoyantes et les montagnes couvertes de forêts. Elle rejoint un couple d’hirondelles et fait mille pirouettes avec elles. Au bout d’un très long moment, épuisée, elle s’assoupit et allongée dans la paume de la main invisible, elle redescend telle une feuille morte vers sa maison où la main la dépose.

A ce moment, des hommes de Poujol en armes arrivent au pied de la falaise de Capimont et entendent des gémissements. – Arrrr ! A l’aide… au secours… je meurs. Cherchant, fouillant et scrutant le moindre genêt, ils découvrent le corps ensanglanté du baron de Mourcairol dans le creux d’un rocher. Gisant à moitié mort, les bras brisés, les jambes désarticulées, son visage est recouvert du sang qui jaillit de son crâne, de sa bouche et de ses oreilles. Dans l’instant, il est porté jusqu’au porche de l’église de Saint-Pierre-de-Rhèdes où le prieur voyant cette loque vivante se saisit de son crucifix et lui administre sans tarder l’extrême-onction.

Pendant ce temps, Anne, allongée sur sa paillasse, se réveille le visage inondé de larmes. Alertée par ses pleurs, sa mère pousse la porte de la chambre et s’arrête sur le palier, interloquée de la découvrir ainsi alitée.

– Mère, mère ! Quel horrible cauchemar je viens de faire ! s’écrie la jeune fille les yeux mi-clos. 

La voix pleine de sanglots, Anne narre, par le menu détail, à sa mère attendrie, sa rencontre avec le méchant baron de Mourcairol. – Mère ! dites-moi que ce méchant rêve va s’estomper avec l’arrivée du soleil à son zénith ? Mais au fur et à mesure du récit, l’esprit de la pastourelle saisit la portée miraculeuse de cet événement. Sentant au fond de son cœur que son secret doit être préservé, elle mime la lassitude. – Mère, je suis fatiguée, pourrais-je me reposer encore quelques instants ? 

Alors, sa mère chagrinée abandonne à contrecœur la main de sa fille et quitte la sombre et minuscule chambre.

A quelques lieues de là, le prieur de Saint-Pierre finit de donner l’absolution à Isiates de Mourcairol pour tous ses péchés et Dieu sait qu’il en avait commis un grand nombre. A bout de souffle, le baron à moitié vivant balbutie dans un dernier effort quelques paroles de désespoir à l’oreille du bon prêtre.

– Prieur, soyez témoin de mon ultime supplique… Seigneur Dieu, par pitié, donnez-moi la force de me relever et aidez-moi à guérir… Je vous promets qu’après ma guérison… je me comporterai comme un bon chrétien et j’élèverai avec mes larmes et ma sueur… mes mains et mes pieds, mon cœur et toute mon âme… un sanctuaire digne de vos bienfaits.

Soudain, un rayon de lumière perce les nuages et fait apparaître dans tous ses éclats un magnifique et odorant rosier. A peine est-il apparu que le baron sent le sang couler à nouveau dans ses veines meurtries, ses membres brisés se reconsolider, sa tête ouverte se refermer et tout son être se remettre à vivre.

Trop heureux de ce miracle, Isiates de Mourcairol s’extrait de la couche où il se trouve et prend d’un pas franc le chemin de la Vieilles-Toulouse. Les très rares hommes qui le croisent et les nombreux animaux qui l’observent peuvent entendre une mélodieuse litanie de prières sur son passage. Etonné, le bon curé de Saint-Pierre-de-Rhèdes contemple sans mot dire le seigneur, qui tel Lazare ressuscité, s’éloigne sur ses deux jambes.

Abordant la vallée du Gravezon dont ses ancêtres ont de tous temps possédé les terres, Mourcairol s’y engage d’un pas assuré. Arrivé dans une clairière lumineuse où divaguent des paons entre des ruines majestueuses, il trébuche sur une antique stèle et évite la chute grâce à son bâton, qu’il plante en terre. 

– Seigneur Christ, pardonnez-moi ! Mes jambes ne me supportent plus et mes muscles me tirent atrocement, articule Isiates d’une voix lasse. Epuisé, il s’écroule et s’endort. Le lendemain, le bruit de la rivière et le chant des oiseaux accompagnent son réveil. Revigoré, il se lève et retire son bâton de pèlerin de la terre. A ce moment-là, une eau claire, fraîche et cristalline jaillit du sol.

– Oh mon Dieu ! Merci pour ce signe ! Mille mercis d’avoir daigné me montrer la voie et le chemin de mon repentir. C’est donc ici que j’élèverai un sanctuaire à votre gloire. Je m’y retirerai et vous offrirai le restant de mes jours, s’exclame d’un ton éclatant le futur frère.

Quelque temps après, il paraît qu’Anne, la petite bergère, reconnaissante, s’est retirée au couvent des Jacquettes de Béziers. Et, certaines sœurs racontent que jamais le visage de sœur Anne ne s’est démis de son sourire resplendissant. Longtemps après sa mort, le vicomte de Poujol, Thomas de Thézan, entreprit d’élever une chapelle commémorative et depuis un sanctuaire en l’honneur de sainte Anne la Marieuse se dresse au sommet de la montagne. L’abbé de Joncels, Gabriel de Thézan, en souvenir des premiers temps de son monastère, s’engagea à verser une rente au prêtre chargé de desservir cette chapelle.

Très longtemps après la construction du monastère de Joncels, son fondateur, frère Isiates, mourut et tandis que ses frères préparaient son corps, ils furent témoins de la réapparition sur ses membres de toutes les cassures occasionnées par sa chute de la montagne.

Et c’est ainsi que l’abbaye de Joncels prit naissance dans cette vallée, au bord du Gravezon où fleurissaient les joncs. De son ancienne splendeur, il subsiste la place du village, ancien cloître des moines, et l’élégante église, lieu sacré depuis des millénaires. De son histoire, il reste cette légende magique du frère Isiates, ancien despote de la contrée, devenu le bienheureux fondateur de ce lieu.

Par Philippe Huppé

SALADE DE FRUITS AU SIROP AUX EPICES DOUCES

  • Temps de préparation :  20/30 min
  • Temps de cuisson : 30/45 min

Ingrédients pour 6 personnes :

Pour le sirop

  • Eau (pour 2 l)
  • Sucre en poudre (500g)
  • 2 c à soupe graines de cardamome
  • 2 Cannelle bâtonnets
  • 5 Anis étoilés
  • 2 c à soupe de poivre en grains
  • 2 c à soupe clous de girofle

Fruits suggérés

  • 1 Pomme
  • 1 Poire
  • ½ Ananas
  • 4 Kiwis
  • 4 Prunes
  • Et plus

Tout mettre dans l’eau à ébullition, rectifier la teneur en sucre ; baisser le feu et laisser réduire de moitié (environ 45 min) à feu extrêmement doux. Laisser complètement refroidir, passer au chinois et introduire vos fruits coupés en dés. Conserver au frais. Le sirop seul se garde plusieurs jours à l’extérieur ou au frigo.