Qui n’a jamais savouré des huîtres, des escargots de Bourgogne, des andouillettes odorantes à souhait ? Comment résister ?
Bien qu’habitant depuis 20 ans en Cœur d’Hérault, mes racines lyonnaises feraient frémir bien des veganes! Tant de somptueux plateaux de fromages et d’innombrables gibiers faisandés à souhait ont parcouru mes quelques décennies, avec leur cortège d’incitations au régime qui soulignent une certaine addiction au fait de manger de temps à autre de “bonnes choses”. Une alternance méritée avec les innombrables sandwichs “à 2 balles” qui forgent le quotidien de votre serviteur… certes, j’écris depuis de nombreuses années avec plaisir dans C le MAG mais j’officie aussi de spectacles en conférences avec des timings qui prêtent peu à la calme préparation des mets du jour. Rien qu’en regardant ce que je mange, j’horrifie donc tantôt les uns, tantôt les autres.
Mais ce n’est rien d’avoir des amis gastronomes et d’autres veganes par rapport au fait de croiser d’autres cultures qui pourraient trouver mes usages repoussants au plus haut point. Essayez de faire avaler à un japonais un Roquefort grand cru, ou à la plupart des américains des tripes à la mode de Caen… et vous sentirez arriver les prémices de la troisième guerre mondiale.
Mais que dire alors des nourritures les plus étranges que nous pourrions être amenés à croiser dans d’autres contrées dont nous connaissons souvent mal la culture… Souvenons-nous d’abord que la plupart des plats qui font la réputation d’un pays viennent souvent d’une obligation qui se perd dans la nuit des temps d’avoir dû un jour, lors d’une famine extrême, goûter à l’impensable, quitte à risquer d’en mourir et, avec force préparation, mode de conservation et le plus souvent épices et condiments. Elle n’est pas si loin de cela l’époque où les plus anciens d’entre nous ont dû trouver en période de rationnement des recettes pour cuisiner sans l’intégralité des ingrédients habituels, voire de goûter des légumes et des viandes qui n’étaient pas réputés pour être très agréables. Peu de gens mangent encore topinambours et rutabagas, même si une mode intelligente tend aujourd’hui à faire mieux connaître de nombreuses espèces de plantes alimentaires.
Signalons d’ailleurs la parution très récente d’une encyclopédie remarquable chez Belin, une somme scientifique réalisée par l’ethnobotaniste Michel Chauvet, dont la carrière s’est jouée à l’INRA et au CIRAD à Montpellier, et qui nous décrit plus de 700 espèces avec nombre de détails historiques, ethnographiques et botaniques passionnants. Du côté des animaux, par contre, fort heureusement la mode n’est pas à vérifier si l’on peut tirer un nouveau parti culinaire, du chat en sauce ou du ragondin à la broche…
Je vous propose donc de faire un petit voyage excentrique de ce qui est bon pour les uns mais atroce pour les autres, c’est-à-dire nous en l’occurrence. Et vous allez voir que, comme on dit, “y’a du lourd !”. Puisque nous avons parlé de plantes alimentaires, évoquons donc le durian que doivent connaître ceux qui ont fréquenté l’Indonésie. Certes la chair a été décrite en 1666 comme « une chose fort saine et des plus délicate que l’on puisse manger », mais d’un point de vue odeur l’immense naturaliste Alfred Russel Wallace précise en 1856 « malgré le goût excellent au palais, que votre haleine ressemblera à celle que vous auriez si vous aviez embrassé intensément votre grand-mère morte depuis des lustres ». C’est pour cela que ce fruit est interdit, au même titre que les produits inflammables et les armes, dans les transports en commun dans la plupart des pays asiatiques. Au cas où un simple d’esprit aurait l’idée de faire profiter tous les voyageurs de sa dégustation.
Mais c’est quand même plutôt du côté des bestioles comestibles que le choc des cultures peut être vraiment violent. Je passe sur la soupe de chauve-souris, avec son petit mammifère baignant intégralement dans le bouillon que vous buvez, ou sur ces savoureux plats aromatisés aux glandes anales de castor, sur lesquelles vous vous jetterez sans doute en arrivant au Canada…
Je passerai aussi rapidement sur le fait que nous avons peu l’usage chez nous de manger des insectes et autres bestioles du genre, car des soupes aux vers jusqu’aux grosses larves à croquer vivantes, des sauterelles et cafards grillés aux énormes mygales à la broche… tout se mange, et même leurs prédateurs. On ne compte pas les pays où l’on déguste parfois des serpents très venimeux. Il paraît que le cœur de naja est absolument savoureux. En Amérique du sud, les gros piranhas, des espèces véritablement dangereuses (pas les petites qu’on peut trouver parfois dans les décorations de magasins balnéaires) terminent sur la table tel un brochet version Halloween, vu la tronche autrement plus effrayante !
Grâce à un célèbre épisode de “Columbo”, beaucoup se souviendront aussi du diodon que les japonais mangent “fugu”. Rappelons tout de même que si ce n’est pas un expert qui vous le met dans l’assiette, vous avez toutes les chances de succomber à son poison mortel : une toxine terrifiante qui est par ailleurs à l’origine des légendes sur les zombies d’Amérique centrale, car en l’ingérant dans certaines proportions vous avez la plupart des signes cliniques d’une mort consommée et néanmoins la faculté de bouger… cool !
Prenons plutôt un bon café kopi luwak vietnamien (qu’on trouve aussi à Sumatra, Java, Bali, aux Philippines…) avant de continuer. Pour qu’il soit fait dans les règles de l’art, il ne faut pas le récolter sur la plante mais attendre qu’il ait été dévoré par les civettes, qui semblent mal le digérer puisque leurs excréments rejettent la graine quasiment torréfiée. Et c’est bien cette association café-excrément que vous allez payer un prix élevé, pour avoir le droit à cette petite pause… attention aux imitations, seules les pures “chiures” de civette ont l’appellation contrôlée ! A titre personnel j’aimerais déjà dans un premier temps goûter tout simplement le fameux café de purs glands de chêne, tel qu’il était préparé pendant la guerre. A propos de glands, si l’on déguste en Alsace de fabuleux testicules de taureaux, qu’on nomme parfois animelles ou amourettes, je ne sais pas si la version américaine a le même goût. Les huîtres des montagnes rocheuses étant une version apparemment moins cuite des testicules de buffles.
Je resterais presque dans le même domaine avec, accrochez-vous, une coutume haute en couleurs On éloigne les enfants du poste, comme dit de Caunes. Un mets traditionnel de Dongyang en Chine. Au printemps, les enfants des écoles de moins de 12 ans urinent massivement pendant quelques jours dans des seaux de plastique, qui vont permettre de remplir de gigantesques cuves pour faire bouillir à l’air libre de savoureux œufs durs. Certes ils sont plus chers que les œufs vendus classiquement, mais les coquilles ayant craquelé dans le bain, la saveur est dit-on remarquable.
Je garde le meilleur de l’article pour la fin : comment ne pas avoir envie de voir perdre un ami – ou plutôt un ennemi – au pari stupide de déguster un plat traditionnel des Inuits. En Norvège, la célèbre bourgade de Alfta est très connue pour son surströmming, conserve de harengs ultra pourris. Deux imbéciles de touristes ont encore essayé d’en goûter, et… ils y sont restés ! Seuls les habitants de cette région ont l’immunité nécessaire. Les Inuits, pour leur part, arrivent à survivre au plus rigoureux hiver grâce à leur résistance quasi surnaturelle au botulisme.
Ça vous dit un petit kiviak pour la route ? Soit une fricassée de pingouins décomposés, suffisamment pourris pour être ensuite enfermés jusqu’à maturation dans la carcasse d’un phoque pendant sept mois ! Étrangement, aucun des leaders de la grande distribution française ne s’est encore approprié ce créneau.
Perso, je viens de créer sur ce sujet un spectacle et une conférence. Pas sûr que j’y associe des dégustations… On verra ! Bon appétit !
Par Frédéric Feu