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Que veut dire exister ?

Face au feu de l’actualité, une philosophie vieille de 2400 ans peut se révéler utile pour calmer nos angoisses. Non pas en nous disant que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, mais plutôt en nous expliquant qu’un simple petit mot peut recouvrir des sens très différents.

Il y a des histoires qui nous poursuivent sur de longues semaines. Des faits divers diront les journalistes. Mais derrière chaque fait divers, il y a des personnes qui, le plus souvent, subissent une double souffrance, celle du drame qu’ils vivent et celle d’une médiatisation de moins en moins contrôlée. La souffrance nous paraît alors comme une simple variable dont il faut tenir compte, mais qui n’est pas notre priorité car le déroulement du feuilleton devient presque un rendez-vous palpitant. Nous devenons inhumains à force de suivre ces dramatiques événements à coup d’épisodes. La philosophie, à contre-courant de la médiatisation, peut venir poser une réflexion sur la souffrance subie. C’est ce que nous allons tenter de faire en invoquant, avec le plus de retenue possible, le cas de Vincent Lambert.
Le 9 avril 2018, le CHU de Reims a décidé l’arrêt des soins à cet homme plongé dans un état végétatif depuis 10 ans. Une partie de la famille s’y oppose. Pour des raisons qui leur appartiennent. Nous n’avons pas le droit de juger. Leurs raisons, bonnes ou mauvaises, font partie intégrante de leur souffrance. Néanmoins ce débat les dépasse désormais car il repose la question de la fin de vie. Même le Pape François est intervenu lors d’une messe publique (le 15 avril 2018), demandant à ce que des soins adaptés soient accordés à cet homme.
Mais Vincent Lambert existe-t-il encore ? Question violente, qui pourtant mérite d’être posée. Car ce n’est qu’une histoire qui déchire sa famille depuis 2008. C’est aussi le débat de l’euthanasie en France : faut-il ou ne faut-il pas maintenir en vie un homme en état végétatif ? Peut-on même dire s’il est encore vivant alors qu’il ne réagit plus, que sa sensibilité est réduite à sa plus simple expression et que ses fonctions vitales se font grâce à l’assistance d’une machine ? Qu’est-ce que cela veut dire d’ailleurs, être vivant ? Est-ce uniquement maintenir son organisation biologique à travers des échanges avec le milieu immédiat (manger, digérer, respirer, etc.) ou est-ce jouir d’une existence riche et complexe, en partageant avec d’autres êtres conscients ? Si nous suivons ces deux définitions, Vincent Lambert n’est plus vivant que d’une manière artificielle à double titre, il respire grâce à une machine et il n’a sans doute pas un niveau de conscience qui lui permet de mesurer la situation dans laquelle il se trouve. Mais nous ne pouvons pas le réduire à ces paramètres vitaux, car il est aussi un être humain qui a le droit à la dignité et à l’amour de ses proches. Mais qu’est-ce qu’aimer une personne ? Est-ce la maintenir en vie ou la laisser partir ? Répondre à ces questions est douloureux, difficile car cela fait intervenir des distinctions subtiles, alors même que nous sommes dominés par un pathos terrifiant.
Je vous propose de nous aider de la Métaphysique pour démêler les fils de cette question épineuse. Métaphysique ? Pourquoi la métaphysique ? Pourquoi aurions-nous besoin de revenir à un discours si théorique pour répondre à nos questions ? Car la métaphysique il y a 2600 ans les posait déjà. Historiquement Métaphysique est le terme donné à une série de cours donnés par le philosophe grec Aristote (384-322 av. J.-C.). Littéralement Métaphysique veut dire « après les leçons sur le physique », c’est donc ce qui suivait ses cours de science « empiriques », c’est-à-dire la connaissance de l’observable, du concret. Ce classement n’est pas chronologique. Il implique que la métaphysique est tout ce qui peut être étudié au-delà des lois de la nature, notamment le sens de l’existence, ce que Aristote appelait la science de l’être en tant qu’être : pourquoi ce qui existe existe-t-il vraiment, pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? La science moderne se limite à analyser et prévoir comment les choses peuvent exister ; la métaphysique veut elle s’attaquer aux raisons mêmes de l’existence : pourquoi nous sommes alors que nous pourrions ne pas être ? Notre existence est-elle absurde, car éternelle répétition de souffrance, tel Sisyphe qui chaque matin doit repousser son rocher, ou y a-t-il une nécessité, un destin qui rend utile cette existence ? Voilà des questions métaphysiques par excellence. Appliquons ce genre de questionnement à l’existence de Vincent Lambert en tâchant de faire les distinctions nécessaires : est-il uniquement un être vivant, un être conscient ou un être humain ? Pour répondre (sans nous gaver de grands mots et sans tomber dans des inepties faciles), il faut être attentif au petit mot être, qui est l’un des plus riches et des plus ambigus de notre langue.
« C’est Vincent Lambert. » « Vincent Lambert est vivant. » «  Vincent Lambert est père de famille.» « Vincent Lambert est. » Ce sont quatre phrases avec quatre sens différents. Les confondre produit une série d’erreurs qui peut expliquer pourquoi tant de personnes ne sont pas d’accord et s’affrontent dans cette affaire. Si faire de la métaphysique consiste d’abord à distinguer le sens des concepts, nous espérons que cela puisse nous aider à comprendre les enjeux de ce douloureux débat sur la fin de vie. Dans l’ordre, le verbe être peut signifier la véracité, la copule, l’existence et l’essence. Rentrons dans les détails.
1. La véracité est l’acte de vérifier (c’est ce qui est le plus simple à comprendre) si la personne qui est face à nous est bien celle habituellement désignée par ce nom et/ou ce qualificatif.
2. La copule est un terme plus difficile à comprendre car nous devons lui ôter toute épaisseur sémantique : lorsque nous disons que Vincent Lambert est vivant, nous ne disons pas nécessairement qu’il est mais uniquement que nous associons un prédicat à un sujet, ici la qualité « être vivant » à un individu dont les fonctions vitales sont suffisantes.
3. Il ne faut pas confondre la copule avec une des caractéristiques de son existence, à savoir par exemple être un père de famille.
4. Il y a enfin l’ensemble de toutes ces caractéristiques qui déterminent Vincent Lambert en tant qu’être humain, c’est-à-dire son essence.
Cela vous paraît complexe ? Normal. Vous êtes vraiment au cœur du raisonnement métaphysique. Aristote en balisa le chemin en distinguant de manière encore plus subtile ce qui est de l’ordre de l’essence et de l’accident : « Il est accident quand nous disons que l’homme est musicien […], dire, en effet, “ceci est cela”, signifie que ceci est l’accident de cela. […] L’Être par essence reçoit autant d’acception qu’il y a de sortes de catégories [de l’Être]. Or certaines indiquent la substance, la qualité, la quantité, l’action, etc. : […] l’homme est un être qui marche est par essence »*
Je vous prie de m’excuser pour la dimension absconse de cette citation, si éloignée de la réalité de ce pauvre homme et de la douleur de sa famille. Par respect, nous nous devons d’expliquer la pensée de notre philosophe. Que veut-il dire ? Qu’il y a plusieurs lectures de ce verbe être. Par essence Vincent Lambert est un être humain qui a le droit à la dignité. Certains considèrent que le fait d’être allongé sur le lit d’hôpital, sans réaction physiologique, avec des machines qui aident à s’alimenter et à respirer suffit pour exister. D’autres ne veulent plus le voir en cet état car il n’est plus lui-même. Certes Vincent Lambert est vivant, car son corps fonctionne et son cerveau est régulièrement alimenté en oxygène. Mais ce est ne détermine en rien que Vincent Lambert – le mari et fils aimé – existe néanmoins, car son existence – ce qu’il est – n’a plus rien à voir avec ce qu’il fut. Exister c’est percevoir la réalité de son existence, sentir le monde qui nous entoure et développer des pensées en lien avec ces sentiments. Exister c’est manifester sa conscience d’être et non pas uniquement être dans le regard des autres. Être dans le regard des autres voulant dire qu’ils nous prêtent des qualités qui ne sont en réalité que des projections de ce qu’eux désirent, notamment un retour à la vie normale, ou bien des réalités sociales impossibles pour le malade. En métaphysique nous dirions qu’ils nous prêtent des accidents, c’est-à-dire des dimensions de notre être qui ne nous correspondent pas, ou du moins qui ne nous correspondent qu’accidentellement : « Accident se dit de ce qui appartient à un être et peut en être affirmé avec vérité, mais n’est pourtant ni nécessaire ni constant. » Ce qui est accidentel n’a pas de lien avec notre essence. Dire que Vincent Lambert était un père formidable est par exemple lui prêter une dimension qui ne le définit plus, car il ne peut plus assurer cette exigence. Certes il sera toujours le père de ses enfants, mais il ne peut plus être ce père formidable que les autres attendent de retrouver. Ce ne peut plus être un argument fondateur pour réclamer son maintien en vie.
Nous devons donc refonder notre éthique sur la question de la dignité en réfléchissant sur l’essence de l’être qui existe, c’est-à-dire ce qui d’une part caractérise l’être humain, mais aussi ce qui lui permet de réaliser la pleine conscience de ce qu’il est. Répondre à ces questions permettra peut-être d’éviter, ou au moins d’encadrer les drames auxquels nous assistons et qui seront de plus en plus fréquents, car la médecine réussira de plus en plus à nous maintenir artificiellement en vie. Cela remettra alors en cause ce qui fait le sens même de l’existence, c’est-à-dire vivre puis mourir. Cette réflexion éthique posera alors la question de l’euthanasie peut-être sereinement, car accompagné d’un discours sur ce qu’est être.

Par Christophe Gallique

* Les citations sont extraites de la Métaphysique d’Aristote, livre Δ. Le style abscons de ce livre s’explique par les difficultés des questions abordées (« l’être en tant qu’être »), mais aussi par le fait que ce sont juste des notes sans doute d’un brouillon qui furent conservées. Les véritables livres rédigées et rendus public par Aristote sont tous disparus.

 

 

Au fil des réseaux…

Black Mirror, ou comment les écrans qui nous entourent de plus en plus vont jouer un rôle dans la constitution de notre identité. Entrez dans le monde merveilleux de nos excès et voyez à quel point, dès 1890, Oscar Wilde dans son roman Le portrait de Dorian Gray avait anticipé les travers de la modernité.

Vous ne devez manquer sous aucun prétexte l’excellente série anglaise Black Mirror 1. Je remercie mon collègue et ami Julien Grupp 2 de me l’avoir fait découvrir. Les plus anciens, ceux qui ont plus de vingt ans, feront le rapprochement avec la célèbre Quatrième dimension des années soixante. Mais aujourd’hui, le synopsis est notre usage irraisonné des nouvelles technologies, des écrans noirs. Un épisode parmi d’autres : Nose Dive, saison 3. L’histoire se passe dans un futur proche où les réseaux sociaux occupent une place de plus en plus grande et où nous sommes tous notés les uns par les autres grâce à une « e-reputation ». Cette note donne des avantages sociaux et permet de policer avec une extrême efficacité les relations sociales. Le personnage principal de cet épisode, une jeune fille, recherche par tous les moyens à augmenter sa note et décide de faire ce qui se doit pour cela. Je ne vous donne pas la fin de l’histoire pour que vous ayez l’envie de vous précipiter sur votre ordinateur. Vous découvrirez alors facilement le lien avec ce qui se passe dans nos propres sociétés.

Il est vrai que nous ne sommes pas entièrement liés à notre réputation issue des réseaux sociaux, mais le système de notation a déjà commencé : sur les réseaux de covoiturage, sur les plates-formes de vente, sur les sites de réservation ou de rencontre. On nous invite à noter sans cesse l’autre, cherchant à quantifier (de 1 à 5) ce qui est de l’ordre du qualifiable, c’est-à-dire l’amabilité, la convivialité, la fiabilité ; du coup les personnes qui proposent un service jouent le jeu de la transparence en postant photos et détails sur leur caractère, leur vie privée. Le plus grand site de « relations sociales » né en 2004 interdit toute utilisation avant 13 ans. Mais aucun enfant ne le respecte. Aujourd’hui les plus jeunes qui transgressent l’interdit et affichent à quel point leur vie est enviable, ont à peine 8 ans. Il est fort à parier que l’âge va s’abaisser au fur et à mesure des années. Notre société qui a perdu un grand nombre de rites de passages sociaux en trouve là un qui devient fondamental : le moment où l’enfant a son premier smartphone et où il peut accéder aux réseaux sociaux.
Donc l’épisode de Black Mirror n’est pas de la science-fiction. Au mieux est-ce un futur proche. Dans cinq ou dix ans ce sera devenu une réalité, qu’on le souhaite ou non. La plus célèbre phrase de l’histoire de la philosophie, Cogito ergo sum (Je pense, donc je suis) de Descartes  (écrite dans les Méditations Métaphysiques) est devenue archaïque ; elle va être remplacée par celle de l’Irlandais Berkeley dans les Principes de la connaissance humaine : Existare est percipi or percipere (exister c’est être perçu ou percevoir) : nous n’existons que si nous apparaissons aux yeux de quelqu’un. L’anonymat devient la pire des maladies dans un monde où sa popularité se mesure au nombre d’abonnés et où les traits d’esprit servent à s’attirer des likes. Loin de moi l’idée d’être ronchon, voire misanthrope. Je fais partie de mon époque et il ne sert à rien de vouloir changer ce qui existe déjà : les enfants dès l’âge de deux ans ont plaisir à aller voir des vidéos sur les réseaux sociaux et savent que là se nouent l’essentiel des relations sociales. Nous ne tomberons pas dans le travers courant de la philosophie, décrit par Machiavel dans son célèbre Le Prince (chapitre 15) : « il y a un tel écart entre la façon dont on vit et celle dont on devrait vivre, que celui qui délaisse ce qui se fait pour ce qui devrait se faire apprend plutôt à se perdre qu’à se sauver ». Pensons donc la réalité des réseaux sociaux pour ce qu’ils sont et reprenons deux dimensions qu’ils nous imposent : la question de la réputation et celle de la transparence de nos vies « publiques » (par opposition à notre vie privée que nous pouvons encore préserver… quoique).

Commençons par la transparence. Même si très vite nous arriverons à comprendre que c’est un faux problème. Que là ne se situent pas les véritables enjeux. Jean-Paul Sartre dans Huis Clos met en scène un homme après sa mort, découvrant l’enfer : il s’agit d’une pièce avec trois sofas et trois personnes qui savent tout de l’autre, jugeant leurs bassesses voire leurs crimes.  « L’enfer c’est les autres ». Célèbre phrase qui clôture la pièce et qui résume ce que seraient nos existences si nous n’avions pas la pudeur de nous protéger du regard des autres. Mais pourquoi ? Car les relations humaines se basent sur les apparences, l’apparence que l’on donne de soi aux autres et qui constitue une bonne partie de notre identité. Jean-Paul Sartre était ce qu’on appelle en philosophie un phénoménologue existentialiste, disciple des philosophes allemands Husserl et Heidegger. Qu’est ce que c’est que cela ? Une philosophie qui explique que la condition humaine passe par les apparences, que nous ne sommes qu’apparence face aux autres. Il n’y a pas de dualité entre une intériorité et une extériorité, c’est-à-dire entre ma réelle personnalité (qui serait ce que je ressens à l’intérieur de moi) et la superficialité des apparences. Je ne suis aussi que ce que je donne comme image. Prenons l’exemple célèbre du garçon de café, extrait de L’Être et le Néant (1943) : il est aimable, habile et rapide ; il joue un rôle, celui du garçon de café. Mais n’est-ce juste qu’une apparence ? Non. Il est ce garçon de café, et nous le connaissons comme garçon de café. Il y a une forme de mauvaise foi à croire que nous pouvons jouer des rôles sans y être englué. En réalité nous sommes les rôles que nous jouons.

Ce que Sartre ne pouvait pas prévoir, c’est que les réseaux sociaux modifient la temporalité des relations avec les autres. Auparavant nous devions jouer un rôle uniquement au moment où nous rencontrions les autres. Désormais nous sommes des images et nous les soumettons aux autres à tout moment, alors même que les autres peuvent ne pas être là. C’est la modification essentielle que nous apporte le web. Je m’explique : les relations avec autrui se sont toujours basées sur un conflit, celui de ma liberté face à la sienne. Pour l’autre je suis un objet, objet soumis à son regard, objet de son désir. Face à cela, je veux être reconnu comme un sujet libre et digne, mais moi-même je ne fais rien d’autre que de soumettre l’autre à mes désirs. Donc nos relations sont marquées par cette opposition incessante. Sartre prend l’exemple des relations entre deux jeunes amoureux : la jeune femme sait que son compagnon la désire ; elle est flattée par ce désir mais ne veut pas que ce désir soit exprimé crûment : elle veut être respectée par l’autre et pour cela joue le jeu de la séduction et de l’attente. C’est cela le conflit ; la séduction est une relation de force entre deux êtres qui se désirent mais qui doivent respecter les codes de la société pour exister pleinement. Les réseaux sociaux modifient cela sur le plan de la temporalité, car on s’offre en permanence aux regards des autres, mais la mauvaise foi est la même : on offre à l’autre l’image que l’on désire être. Ce n’est pas que superficialité, comme si nous projetions une image qui n’est pas nous. Nous sommes l’image que nous donnons de nous-mêmes sur les réseaux sociaux ; l’enfer c’est les autres, même sur le web, si nous n’avons pas la possibilité de contrôler notre image. La réputation jouant néanmoins un plus grand rôle, car les possibilités d’être vu par les autres sont démultipliées par le web. C’est là notre deuxième problème, celui de l’amour-propre dans notre rapport à l’image. Ce problème fut souligné très tôt, bien avant l’invention d’internet, par un autre philosophe, Jean-Jacques Rousseau. Selon lui, et il le souligna dès le 18e siècle, l’amour de soi est un sentiment naturel dégradé par les relations sociales : dès que nous sommes confrontés aux autres, nous sommes en compétition, et nous sommes davantage préoccupés par notre apparence que par la réalité de notre être. L’amour de soi nous pousserait à choisir ce qui est bon pour nous, mais nous sommes étouffés par notre amour-propre qui nous pousse à aimer ce qui est bon pour notre réputation. C’est là la principale perversion des relations sociales qui existait déjà dans les salons mondains que fréquentait Jean-Jacques Rousseau, et qui est généralisée par notre addiction aux réseaux sociaux : nous voulons exister socialement et nous nous préoccupons de ce que les autres pensent de nous. Notre personnalité se trouve faussée mais croire qu’il n’existe pas cette dimension dans notre comportement relève de l’aveuglement.

Récapitulons : nous voulons avoir une réputation sur le web et cette réputation nourrit notre amour-propre ; mais nous ne voulons pas de transparence car nous ne voulons pas que les autres voient nos bassesses. Autrement, la vie sociale, même virtuelle, surtout virtuelle, deviendrait un enfer. Mais cela n’empêche pas de considérer notre image comme un élément constitutif de notre réelle personnalité : c’est là-dessus que peut se développer le harcèlement. Une rumeur, une insulte ou une humiliation virtuellement publique (car le web est le nouveau lieu où se construit l’opinion publique) peuvent détruire un individu encore plus rapidement qu’auparavant. Et c’est dans un tel contexte que l’apparition de la notation devient dramatique et incontrôlable. Nous nous dirigeons vers une société où notre apparence sur le web va devenir notre véritable existence. Certes, en lisant ces lignes, nombre d’entre vous diront « Jamais, au grand jamais je me laisserais faire ! » mais par un mélange d’amour-propre et de mauvaise foi, nous glissons tout doucement vers la situation décrite par l’épisode de Black Mirror. Soyez sûrs que nous sommes d’ailleurs les dernières générations à se poser la question « est-ce bien ou est-ce mal ?»,  le futur nous montrera que la question ne se posera plus. Il s’agira uniquement d’un rite d’initiation sociale auquel nous soumettrons nos enfants, nos parents, nos amis, avec leur complicité.
Par Christophe Gallique