Descartes

Fake ou space cake ?

«La politique moderne, celle que le président des Etats-Unis a inauguré, se base sur les faits alternatifs qui justifient des décisions. Surprenant concept qui, malgré le vernis de nouveauté, révèle une pratique assez ancienne : il y a vingt ans Descartes en fut déjà victime.»

C’était en 1996. Début juillet. Ma première fois comme correcteur du bac. Mes premiers oraux de rattrapage. Il est arrivé, tel un alien. Bob sur la tête, short et tongue, stylo dans un sac en plastique. Il ne lui manquait plus que la serviette de plage pour me signifier que je ne l’intéressais pas tant que cela. Liste de texte classique : Descartes et Le discours de la Méthode. Il ne semblait montrer aucun intérêt au texte. Il attendait en dessinant sur son brouillon pendant les 20 mn qui lui étaient accordées pour la préparation. Je le fixais, le regard un peu éteint ; j’étais au début de ma carrière et je me disais qu’elle risquait d’être longue…
Heureusement c’était sans compter la vivacité de la jeunesse. Le garçon me toisa quelques secondes et au lieu de commencer son explication de texte du classique « comme maître et possesseur de la nature », il m’annonça qu’il allait dévoiler une vérité sur Descartes : si le philosophe avait décidé de vivre aux Pays-Bas, ce n’était pas pour fuir la célébrité en France et faire ses recherches (notamment sur des cadavres) tranquillement. C’était pour profiter du cannabis ! Descartes fumeur de joint ! Pour défendre cette thèse pour le moins saugrenue (comme si les coffee shops existaient à l’époque), il s’appuya sur un livre paru à cette époque pour les 400 ans de sa naissance, Descartes et le cannabis ou pourquoi partir en Hollande écrit par Frédéric Pagès, journaliste au Canard Enchaîné. Un livre blague, pour se moquer du statut de commandeur que la France avait accordé à son plus célèbre penseur. Livre qui fait une interprétation très orientée des fameux rêves au cours de la nuit du 10 novembre 1619 où Descartes eut la vision de sa méthode en un éclair de génie. Moquerie autour des immortelles Méditations Métaphysiques qui ont été l’occasion pour des générations de lycéens d’imaginer Descartes dans son « poêle » (c’est-à-dire une pièce chauffée par une poêle) fumant pour trouver son inspiration… et autre occasion de croire que Descartes écrivait pour délivrer des secrets à ses contemporains sur la nécessaire légalisation du cannabis dès 1640 ! La blague est si grosse que je suis persuadé que pas un moment le journaliste aurait pu supposer que quiconque eût pu prendre au premier degré son livre ! Eh bien si ; en ce mois de juillet 1996 j’avais devant moi un précurseur, une âme en avance sur son temps en inventant avant la lettre les « faits alternatifs » (d’ailleurs il faudrait vérifier si dans l’équipe de communicants de Donald Trump, il n’y aurait pas un français qui a passé son bac en 1996 à Evreux). Face à ma moquerie il me répondit : Et si c’était vrai ? Qu’est-ce qui me dit que vous ne niez pas l’évidence ? A chacun sa vérité après tout ! Vous n’avez pas le droit de m’imposer une version officielle qui peut être balayée par d’autres hypothèses. J’en restais coi. Coi non seulement par l’outrecuidance de ce type qui refusait l’autorité de l’institution et qui mettait au même niveau ses interprétations de fumeur de joint et un travail universitaire de plusieurs siècles. Mais aussi coi par mon impuissance à lui démontrer que ce qui était faux ne pouvait pas être vrai.
Aujourd’hui cette manière de faire est si courante en politique : ce que vous me dites est faux ! Même si vous avez des moyens de le démontrer, même si vous avez des faits, des images, c’est faux ! Libre à moi de le croire. Le premier évènement qui a fondé cette paranoïa et cette nouvelle définition de la vérité date de la remise en cause du voyage américain sur la Lune : avez-vous des preuves que les films ne sont pas que des reconstitutions ? N’y a-t-il pas des mensonges pour nous cacher la vérité ? Ne peut-on pas interpréter autrement la vérité officielle ?
En ce qui concerne les américains sur la Lune, jamais personne ne m’expliqua vraiment comment un « fake » aurait pu reconstituer la chute d’une plume lâchée par Armstrong et tombant à la même vitesse qu’un marteau. Mais passons. Revenons à l’essentiel, c’est-à-dire les concepts utilisés : le triptyque vérité/interprétation/mensonge. Commençons par la vérité. Quelle est sa définition ? Il y a en a deux à notre disposition : celle donnée par le prussien Kant, « la vérité est l’accord entre une connaissance et son objet », et celle du mystique Heidegger, la vérité comme « dévoilement de l’être qui nécessite d’abord le voilement ». Le philosophe allemand, qui a marqué tout le 20e siècle grâce à son livre Etre et Temps (1927) annonça que la philosophie occidentale depuis Platon avait « oublié l’Être ». Heidegger dénonçait ainsi l’assujettissement de la réalité au jugement logique et il data cela notamment à partir du travail d’Aristote sur le principe de non-contradiction : pourquoi une chose pourrait ne pas être et être dans le même temps ! La messe est dite : je peux affirmer face à l’autre que ce qu’il croit être vrai parce qu’il a des connaissances logiques peut tout aussi bien être faux. Tout est question d’interprétation. Le discrédit est jeté sur l’objectivité de la connaissance et sur les critères logiques. Kant qui voulait établir les règles pour une connaissance vraie des choses en limitant ce qu’on peut affirmer et ce qui de l’ordre de l’invérifiable, se trouve ramené par Heidegger à une forme de raideur psychologique à dépasser. Pour Heidegger la vérité ne doit pas être une relation entre une idée et la chose, c’est-à-dire une réflexion compréhensible d’une chose qui nous apparaît, mais un dévoilement de ce qui est caché. D’où la nécessité de s’ouvrir aux interprétations.
Interprétation, deuxième concept à définir. Interpréter consiste à repérer des signes qui procurent du sens à des faits, pas nécessairement par rapport à une réalité cachée, mais par rapport à sa propre subjectivité. Il y a certes des règles, des traditions de l’interprétation, notamment liées à l’herméneutique religieuse, mais généraliser l’interprétation peut être un accès à une totale liberté par rapport à la vérité. Pour Heidegger, toute conscience est interprétative, donc porteuse du sens qu’elle donne aux choses. Le souci est alors un moyen de prendre conscience du sens de l’Être. La science interprétative s’oppose ainsi aux sciences démonstratives, prenant appui sur la conscience que les hommes ont du monde. Kant au contraire, même s’il faisait partie des philosophies dites idéalistes car il pensait que l’homme structurait de façon humaine la connaissance humaine, pensait néanmoins que la vérité échappait à l’individualité du jugement, la vérité était un rapport immuable entre une connaissance et son objet. Comprenons bien : nous pouvons interpréter la valeur d’une action, si elle est bonne ou mauvaise. Nous pouvons aussi interpréter le sens d’une action humaine (quel est le sens de la Shoah ?). Mais nous ne pouvons pas interpréter la réalité d’un fait. Soit nous connaissons et nous établissons ce fait, soit nous ne le connaissons pas. Il n’y a pas d’alternative possible.
Faudrait-il dès lors supposer que c’est le mensonge qui est au cœur de ces faits alternatifs ? Peut-être. Dans la mesure où le mensonge est une manipulation de l’autre par quelqu’un qui connaît la réalité du fait mais qui fait face à une autre personne suffisamment naïve et confiante pour croire le menteur. Mentir sur le réel motif de la présence de Descartes aux Provinces-Unies (ancien nom donné à la Hollande). Oublier qu’il y était car en France sévissait la censure et qu’il risquait malgré sa célébrité la mort pour la modernité de sa pensée. Préférer l’anachronisme d’une problématique sur la pénalisation du cannabis à une vraie réflexion sur la liberté de pensée. Mais ce n’est pas tout. Machiavel, dans son Prince (1513) précise que le mensonge, surtout s’il est politique, a toujours deux composantes : la volonté d’efficacité de celui qui ment et le désir de celui à qui on ment. Le peuple, dominé par l’homme politique qui lui donne une fausse lecture de la réalité, s’en laisse conter car il veut entendre cette version de la réalité. On ne peut pas mentir à quelqu’un qui se méfie et qui exige sans cesse vérification. On ne peut mentir qu’à celui qui laisse la douce musique du mensonge lui bercer ses oreilles. Le fait alternatif a donc pour fonction d’adoucir une réalité qui nous obligerait à remettre en question notre confort d’existence. Pourquoi Descartes partait-il en Hollande ? Parce qu’il voulait la liberté nécessaire pour innover sur le plan scientifique ? Parce que, à son époque il était interdit de pratiquer les dissections sur des morts alors même que le philosophe français savait que c’était là le seul moyen de faire progresser la médecine ? Non, cela nous dérange. Un tel grand homme fait de l’ombre à la médiocrité de notre vie. Nous préférons une autre version, celle d’un homme qui fuit son pays pour consommer tranquillement des drogues et s’échapper du réel. Cela nous semble tellement plus gai, plus simple, moins culpabilisant pour nous qui ne serons jamais au Panthéon des Grands Hommes. C’est donc un mensonge pratique, somme toute.
Est-ce que le garçon qui m’exposa cette thèse avait tout cela en tête ? Pas sûr. Il pensait peut-être juste passer du bon temps en provoquant son examinateur. Peut-être même que son intervention était le résultat d’un pari. Après tout, c’est peut-être tout simplement ça : venir en short à l’oral du bac, le bob sur le crâne, cela ressemble à une préparation minutieuse pour rejeter le symbole oppressif que peut représenter le baccalauréat. Malheureusement pour lui, mal lui en a pris : il a dû repasser ses épreuves l’année suivante.
Par Christophe Gallique

Les éoliennes au cœur d’un débat de société

La question des éoliennes n’a pas fini d’être d’actualité, notamment dans le cadre du remplacement du nucléaire. Mais, même si elles ont la réputation de produire de l’énergie renouvelable, elles ont leurs opposants. Pour éclairer ce débat voyons comment Descartes aurait pu en parler :

L’association l’Engoulevent a pour vocation première la protection des paysages et du cadre de vie dans le Somail et l’Espinouse, au-delà du col de Fontfroide, au-dessus d’Olargues. A ce titre elle a porté en justice la décision de la commune de Fraïsse sur Agoût d’implanter un parc éolien près du col de Fontfroide en 2008. Le Midi Libre du mois de janvier 2017 se faisait l’écho des décisions judiciaires près de 10 ans après le début de l’affaire1. Les opposants considérant que le bétonnage nécessaire pour tenir debout ces éoliennes était effroyable2. La transition énergétique de la France, qui doit au fur et à mesure abandonner ses centrales nucléaires, se fera donc dans la douleur. Les arguments des deux parties se tiennent : l’association L’Engoulevent explique qu’une éolienne nécessite 1500 t de béton pour tenir debout3. Drame écologique et financier car avant que les communes puissent bénéficier des retombées économiques, l’équilibre sera difficile à trouver. Nous voilà donc en plein combat écologique et après les ZAD (Zone à défendre) notamment de Notre dame des Landes, voilà la ZDE (Zone de Danger Eolien). Face à cela EDF explique que ce parc produira 24 MW et permettra de répondre aux besoins de 40 000 habitants, qui seront bien heureux de ne plus dépendre ni du charbon ni du nucléaire. Nouveau combat de David face à Goliath. Comment trancher ? Difficile. Car il se base sur un sentiment, celui du bonheur. Ce problème est bien plus ancien qu’on ne le croit. Il tire ses racines d’un paradoxe que Descartes lui-même, dès 1637 dans Le Discours de la Méthode, avait analysé : L’homme veut à la fois respecter la nature et dans le même temps jouir des bienfaits de cette nature sans souffrir. Le célèbre philosophe français a beau être mort en 1650, à l’époque de la construction du château de Versailles, son argumentation couvre des problématiques toujours plus d’actualité. Je sais que, pour certains d’entre vous, Le discours de la Méthode est avant tout un mauvais et/ou soporifique souvenir de classe de terminale, avec le plus que célèbre « Je pense donc je suis », mais je vais vous proposer de prolonger cette célèbre pensée en la détournant en un : « Je pense donc je jouis ». Je jouis de la nature bien entendu. Aucune pensée déplacée je vous prie. Au 17e siècle la connaissance se divisait en deux parties, la contemplation de l’œuvre de Dieu réservée aux religieux et la connaissance pratique, qui pouvait être comparée à celle des artisans et qui permettait d’inventer « une infinité d’artifices qui feraient qu’on jouirait sans aucune peine des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s’y trouvent »4. Cela nous permettrait de « nous rendre comme maître et possesseur de la nature ». Descartes avec cette très célèbre formule inaugure le rapport de l’homme moderne avec son environnement, celui d’un propriétaire qui peut modifier à son gré ce qu’il a acquis (légalement ou pas d’ailleurs). Descartes ne développait donc aucun complexe dans son rapport à la technique : il faut la développer autant que se peut. Quel est le rapport avec les éoliennes ? Elles détruisent en partie la nature, pour notre confort personnel. Descartes ne connaissait bien entendu rien en éolienne ! A peine en moulin à eau… Il était plutôt médecin. Mais le problème reste le même : faut-il respecter l’intégrité du corps ou faut-il le modifier pour être heureux ? Aujourd’hui on répondrait avec les exemples des produits dopants ou de la chirurgie esthétique. Les dissections sont interdites ? Ni une ni deux, Descartes partit habiter le quartier des bouchers à Amsterdam pour découper des cadavres fraîchement inhumés… Il faut choisir : la morale ou le progrès ? La réponse se trouve dans le même Discours de la Méthode : «S’il est possible de trouver quelques moyens qui rendent les hommes plus sages et plus habiles », il ne faut pas hésiter. Ce qui est vrai pour notre corps l’est aussi pour la nature qui nous environne. Précisons que Descartes est néanmoins subtil. Il écrit « comme maître et possesseur », c’est-à-dire que l’homme même s’il n’est pas le véritable propriétaire de la nature, peut faire comme s’il l’était réellement. Début de l’imposture diront certains. Mais analyse exacte du rôle de la technique dans notre histoire : nous cherchons d’abord à être heureux et à jouir sans aucune peine des fruits de la terre.
La seule différence avec notre époque est que la technique alors n’était pas assez puissante pour laisser des traces indélébiles sur la terre. Ce n’est plus le cas. Mais examiner le problème sous le seul angle des conséquences de notre action ne suffit pas. Car il se heurte à notre égoïsme naturel. C’est ce qu’a compris un philosophe allemand contemporain, Hans Jonas (né en 1903 et mort en 1993) à travers un des livres de philosophie les plus importants du 20e siècle : Le principe de Responsabilité (1979, traduit en français en 1990). Ce livre complexe et riche est à l’avant-garde de la pensée écologique, celle qui remet en cause cette croissance économique qui laisse au second plan le respect de la nature au profit d’une exploitation des ressources naturelles. Hans Jonas a cette qualité d’expliquer ce qui fait obstacle à ce qui devrait être du bon sens. Pourquoi les responsables politiques refusent de considérer comme une priorité la défense de la nature, alors même que tous les rapports scientifiques annoncent une catastrophe dans les 100 ans à venir ? Pourquoi favorisent-ils des solutions industrielles et destructrices de l’environnement (avec des éoliennes massives) quand d’autres possibilités (par exemple des éoliennes individuelles, accrochées aux maisons ou aux immeubles) existent déjà ? Jonas pose les termes du problème : d’un côté nous avons un impératif moral, celui de conserver la planète dans un état tel que nous puissions la remettre à nos enfants dans le même état, de manière à pouvoir préserver une « vie authentiquement humaine ». Qu’est-ce que cela, une vie authentiquement humaine ? Ce n’est pas facilement déterminable. Est-ce que cela veut dire qu’il faudra juste assurer à nos enfants et nos petits-enfants de pouvoir respirer de l’air sain ? Est-ce que cela implique qu’ils puissent rencontrer des animaux sauvages et une flore diversifiée ? Ou est-ce qu’il faut leur accorder la possibilité d’avoir une vie aussi confortable que celle que j’ai, avec mon smartphone et mon Hoverboard pour me déplacer ? Il y a là matière à réflexion. Mais au moins cet impératif a le mérite de renverser le paradigme : nous ne devons plus nous considérer comme propriétaire de la nature mais comme locataire d’un bien qui nous a été confié.
Le contre-argument immédiat, pour les esprits sceptiques, est de se demander qui nous a confié ce bien ? C’est-à-dire quelle est la légitimité de cette restriction à mon propre bonheur ? Qui peut m’imposer que je me sacrifie ? La question est très pertinente. Je m’explique : de longues générations ont fondé leur rapport à la Terre sur la lecture plus ou moins littérale de textes religieux. Notamment dans la Genèse (texte fondateur des trois grandes religions monothéistes) est écrit : « Le sol sera maudit à cause de toi. C’est à force de peine que tu en tireras ta nourriture tous les jours de ta vie, il te produira des épines et des ronces, et tu mangeras de l’herbe des champs. » Interprétons : la nature est l’objet d’une malédiction et l’homme devra faire avec cette malédiction. Mais aujourd’hui, dans une société sécularisée et consumériste, qui aurait l’autorité nécessaire pour que je respecte cette nature ? Les générations futures ? Des individus qui donc par définition n’existent pas encore ? Mes petits-enfants ? Mes arrières petits-enfants ? Et pourquoi ? Les rapports du GIEC expliquent qu’une augmentation de plus de 2 degrés à l’horizon de 2100 serait une catastrophe. Mais en quoi suis-je réellement concerné ? Je serai mort depuis 30 ans, mes enfants seront centenaires et mes petits-enfants déjà dans le troisième âge. Il faudrait donc que je me préoccupe de personnes que je ne connaîtrais peut-être jamais et que leur existence – dans une authenticité dont on pourrait débattre – détermine mes choix économiques et énergétiques présents ? Hans Jonas explique qu’il est tout à fait rationnel de vouloir que ma propre existence soit un feu d’artifice rempli de joies et de facilités, quitte à ce que le monde disparaisse après moi. Pourquoi et qui peut vouloir une vie médiocre, faite de sacrifices, pour les générations futures ? Uniquement ceux qui sont amateurs de martyre. Pas moi, individu égoïste et rationnel, pas méchant mais pas non plus généreux au point de me soumettre à un contrat de dupe : je ne serai même plus vivant pour contempler le résultat de mes efforts !
Je reviens aux éoliennes de Fraïsse sur Agoût : elles sont là et elles défigurent l’Espinouse. Soit. Mais je ne suis concerné que lorsque je veux me promener sur la crête du partage des eaux, près du lac du Vézoles accompagné par les ânes des Signoles. Mais l’aspect esthétique de l’affaire ne fait que toucher mon propre égoïsme, c’est-à-dire mon propre bonheur. Savoir que les éoliennes bétonnent le sous-sol et empêchent des animaux de vivre m’émeut déjà moins. C’est la raison pour laquelle Hans Jonas conclut son argumentation en rejetant toute rhétorique rationnelle : la question du respect de la nature doit être un axiome, c’est-à-dire une vérité indémontrable qui s’impose dans son évidence. Il ne faut plus discuter. Et imposer. Cela deviendrait à nouveau une question au-delà de la rationalité qui calcule son intérêt. Mais cette conclusion ne tranche pas non plus. Qui doit imposer à l’autre : les autorités qui supportent le projet industriel, ou les défenseurs de l’intégrité de la nature ?
Par Christophe Gallique

ENCART
L’association l’Engoulevent :
« Je pense, donc je jouis » ; bien entendu, l’Espinouse est touchée, habitée, utilisée par des passagers à la recherche du bonheur qui peut passer par l’esthétique des lieux. Mais un espace ne peut se réduire à une architecture, une couleur et des sons ; un lieu, c’est une ambiance. L’Espinouse est aussi habitée par des femmes, des hommes et des enfants toute l’année ; ces gens-là ne font pas que cueillir les fruits de la terre, ils se battent pour les faire pousser, la terre est particulièrement ingrate dans cet espace agronome pauvre (encore un autre débat). Le bonheur que vous nommez  » égoïste » du randonneur contemplatif avec un âne, a demandé des années de travail ; c’est ce travail que vous achetez pour « jouir » des grands espaces. Il est donc légitime que les sédentaires défendent leurs espaces (et les vôtres) ; nous sommes là dans les fameux échanges  » ville-campagne ». Comment pouvez-vous imaginer une minute que les deux parties ont chacune une bonne raison ? EDF travaille pour ses actionnaires, et les habitants de Fraïsse pour vivre. Les premiers possèdent les armes de destruction massive, et les villageois des lance-pierres.