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Sommes-nous tous de la même famille ?

La question posée par l’exposition que reçoit ce mois-ci la librairie Un point un trait de Lodève, a nécessité les réponses variées et parfois surprenantes de nombreux chercheurs. Préhistoriens, paléontologues, généticiens, anthropologues, mathématiciens, historiens, géographes et sociologues s’y sont collés, pour un résultat qui alimente scientifiquement et solidement les arguments de ceux qui luttent contre toutes les formes de racisme. 

Oui, notre apparence physique est une “carrosserie aux designs et aux coloris variables mais notre moteur reste identique” : nous sommes tous construits sur le même modèle.

Point de départ obligé : nous sommes tous de l’espèce humaine, ce qui signifie que nous sommes une population dans la classification du vivant qui est interféconde, dont la descendance peut elle même se reproduire : toutes les femmes peuvent avoir des enfants avec tous les hommes sans distinction. Et cela fait du monde ! Plus de 7 milliards aujourd’hui, soit 7 fois plus qu’il y a 200 ans.

Nous sommes les Homo sapiens, des Homininés de la famille des Hominidés que nous partageons avec les grands singes. Après quelques tergiversations sur les fossiles, il semble se confirmer que nous sommes apparus il y a 200.000 ans en Afrique. La disparition de Néandertal il y a quelques 30.000 ans semble cependant plus complexe à analyser que prévu, puisque l’incroyable essor des connaissances en génétique vient de nous démontrer que nous avons bénéficié de 1 à 4 % du patrimoine génétique de Néandertal.

“On ne naît pas homme, on le devient”

Cependant, notre parenté biologique est loin d’être le seul critère qui fait de tous les humains actuels une seule et même famille. Notre diversité culturelle, si on s’écarte des pièges dépassés de l’ethnocentrisme, peut-être analysée et comparée avec pertinence. Nous avions appelé “primitifs” ou “sauvages” des modèles de cultures différents du nôtre mais l’histoire de chaque population justifie ses choix. Par exemple, alors que pour un Occidental manger avec ses doigts est “sale”, pour un Indien utiliser une fourchette en se privant du sens du toucher dans l’acte de se nourrir est une aberration grossière et artificielle.

Le 2 novembre 2001, l’UNESCO a fait un acte fort en publiant sa “Déclaration universelle sur la diversité culturelle”. Dès l’article 1, cette diversité culturelle est proclamée comme étant « un patrimoine commun de l’humanité, source d’échange, d’innovation et de créativité, à sauvegarder pour les générations présentes et futures ». A l’article 3, elle est définie comme un « moyen d’accéder à une existence intellectuelle, affective, morale et spirituelle satisfaisante ». A l’article 4, son respect est inséparable du respect de la dignité humaine.

La riche histoire des civilisations antiques le prouve : le métissage culturel a toujours été un facteur de progrès de l’humanité. Le défi lancé à nos sociétés actuelles est de tirer le meilleur parti de la globalisation du monde et des opportunités nouvelles considérables d’échanger et de nous confronter à la diversité culturelle.
Mais revenons sur notre biologie. Bien que tous fabriqués sur le même modèle et possédant un patrimoine génétique à 99,8 % semblable d’un individu à l’autre, les 0,2 % restants font toute la différence, puisque nous sommes tous reconnaissables !

Il ne s’agit pas seulement de notre couleur de cheveux, d’yeux, de peau, de notre taille… A ces critères s’ajoutent, par exemple, nos résistances aux maladies, notre intolérance au lactose et 1000 petites subtilités ayant parfois d’importantes conséquences pour chacun d’entre nous. Dans ces 0,2 % on trouve essentiellement les conséquences de phénomènes adaptatifs à l’environnement. Ils résultent de conditions climatiques locales, de régimes alimentaires, d’agents pathogènes rencontrés qui au fil de centaines de générations ont inscrit leurs marques dans notre génome. Certaines combinaisons génétiques sont plus ou moins fréquemment rencontrées selon l’origine géographique. On peut aujourd’hui, grâce à la génétique, remonter le temps et être capable de connaître l’ascendance d’un individu ainsi que son continent d’origine. 

Revenons, par exemple, à l’intolérance au lactose après le sevrage : elle a un caractère ancestral. 70 % de la population mondiale ne digère pas le lait. Des mutations génétiques ont permis à certaines populations du Caucase et de l’Afrique de le digérer. Cette mutation se serait produite il y a 10.000 ans avec le développement de l’élevage bovin et de la consommation de produits laitiers. En Europe, les personnes intolérantes au lactose sont essentiellement des populations immigrées, notamment asiatiques, et leurs descendants. Concernant la couleur de peau, ses variations sont dues aux gènes qui contrôlent la production de la mélanine, un pigment foncé qui sert de rempart aux effets nocifs des ultraviolets, tels que les brûlures et cancers cutanés. A proximité de l’équateur, les populations ont développé un bronzage permanent variant du brun foncé au blanc rosé, qui s’effectue graduellement en fonction de l’intensité du rayonnement solaire. La couleur claire des habitants des régions peu ensoleillées est également un phénomène adaptatif. Il permet aux ultraviolets de pénétrer plus facilement dans la peau et d’aider à la synthèse de la vitamine D.

L’Homo sapiens en pleine croissance ?

C’est sans doute l’amélioration des conditions alimentaires et sanitaires qui influe le plus sur l’augmentation de la taille moyenne de la population mondiale. Mais le brassage génétique avec d’autres populations est aussi un événement important. Les immigrés d’origine asiatique installés aux États-Unis ont gagné 20 cm en une seule génération.

Le classement des êtres vivants

L’une des premières origines d’un “racisme scientifique” serait peut-être à découvrir dans l’œuvre du grand savant Carl von Linné. Il est certes le créateur indispensable de l’appellation binominale des espèces en latin qui permet de les nommer, les distinguer et mieux les étudier. Mais on peut dire “qu’il en fait un peu trop” quand en 1758 il propose la première classification scientifique de l’espèce humaine et divise l’Homo sapiens en quatre variétés : les Americanus (rouges, colériques et droits), les Europeus (blancs, sanguins et musculaires), les Asiaticus (jaunes pâles, mélancoliques et rigides), les Afers (noirs, flegmatiques et décontractés)… Inutile de dire que l’exposition ne s’arrête pas sur cette affirmation tragi-comique ! Elle aborde la hiérarchisation des hommes qui fut le support à l’inégalité des droits, décortique les stéréotypes sociaux qui nous divisent et observe que nous sommes tous des descendants de migrants… 

Par Frédéric Feu

Extraterrestres d’ici et d’ailleurs – Première partie

Notre ami l’écologue et photographe Philippe Martin basé en cœur d’Hérault, qui publie une fois de plus l’un de ses “recueils d’images” fascinants, nous donne à voir cette fois-ci des créatures des océans telles que nous avons peu de chance de les rencontrer un jour. Non seulement nous plongeons rarement comme lui dans certaines contrées lointaines mais, dans tous les cas, son invention – le procédé “Hyperfocus” – permet de produire des compositions photographiques d’une netteté surréaliste, que renforce encore sa captation de la simple lumière naturelle sans aucun artifice dans des quantités telles que notre œil n’est pas capable normalement de la percevoir.
On assiste ainsi à un cortège de monstres et merveilles, du corail à l’étoile de mer et tant d’autres espèces évoluant dans des environnements qui se révèlent être plus saisissants que n’importe laquelle des surfaces de planètes les plus délirantes imaginées par les meilleurs auteurs de SF !

Même s’il montre une réalité du vivant, l’imagerie de Philippe interroge nos rêves d’autres ailleurs à travers les récits fantastiques que l’homme produit sans interruption depuis l’aube des temps.
Bien que nous disposions de nombreux matériels pour explorer les océans : scaphandres, bathysphères, bathyscaphes, certains types de sous-marins (la plupart des sous-marins faisant partie de l’arsenal militaire, leurs équipements n’étaient pas spécialement prévus pour l’observation naturaliste)… nous avons aujourd’hui également un vaste choix de drones et robots qui peuvent, avec moins de risques, multiplier les terrains d’exploration.

Mais l’homme a une sacrée manie qui consiste, la plupart du temps, à se moquer et se défier de ceux qui imaginent des choses extravagantes et à considérer tout aussi rapidement comme acquises et normales des découvertes aussi hallucinantes soient-elles… Souvenons-nous que lors de la plongée du Trieste dans la fosse des Mariannes par l’équipe d’Auguste et Jacques Piccard, on découvrit des poissons en pleine forme au plus profond du plus profond de l’océan, alors que l’on supposait toute vie impossible au-delà de la moitié de la distance qui fut finalement franchie.
Et depuis, ne passe plus une année sans que nous découvrions d’autres espèces bioluminescentes, aussi sublimes que cauchemardesques, d’autres formes de vie qu’on ne sait même pas où classer et comment nommer selon les classifications et les taxonomies établies. Et il en reste encore à découvrir… et il en reste encore des difficultés à contourner, pour investiguer ces plus de mille milliards de kilomètres3 d’eau pas encore investigués ! (source “Oceanology ”, mai 2010).
Alors, réfugions-nous dans l’imaginaire…

« Histoire véritable ». Faunes, dryades, centaures, hippomyrmèques, psyllotoxotes…
Non, je n’utilise pas ma rubrique du C le Mag pour vous insulter à pleins poumons, tel notre cher capitaine Haddock. Parti comme vous pour vivre ces mois qui nous rapprochent du 21 juillet 2019 à 3 h 56 20 s, heure française, instant où je l’espère bien nous célébrerons le demi-siècle du réel premier pas de l’Homme sur la Lune, je me replonge savoureusement dans la lecture de “L’histoire véritable” de Lucien de Samosate. Ce rhéteur né en Syrie et mort en Egypte au IIe siècle durant l’empire romain, rédigea en grec un récit fantastique adulé par les historiens de la science-fiction qui le considèrent comme une origine de leur genre.
Lucien fut lui-même un grand voyageur et, d’Asie jusqu’en Espagne, il se heurta dans son périple aux colonnes d’Hercule, frontière de l’océan Atlantique à coup sûr peuplé de monstres. Cela lui donna sans doute l’idée d’imaginer un vaisseau grec arraché de l’océan par une tempête pour être emmené jusque sur la Lune, royaume d’Endymion et de ses armées (le nom de ce Lunien titillera bien sûr les fans des “Cantos d’Hypérion” du célèbre écrivain Dan Simmons).
Et donc, au deuxième siècle après Jésus-Christ, nous voyons des terriens s’associant aux Luniens pour faire la guerre aux armées du Soleil de Phaébus et ses Héliotes (évidemment, les négociations n’avaient pu aboutir car nous savons tous qu’incorruptibles, les Héliotes naissent… Ah ! Ah !).
S’ensuivent des guerres interplanétaires où agissent nombre de créatures étonnantes, telles les Hyppogypes, vautours à trois têtes de la taille d’un hélicoptère de combat, ou des libellules de plusieurs centaines de mètres d’envergure pas du tout amicales.

Pour autant, comme ce sera le cas pendant longtemps, les créatures intelligentes du ciel resteront à l’image des humains, hors quelques exceptions depuis Aristophane et son peuple des oiseaux. Il décrit des animaux déjà connus doués de paroles et vivant avec des règles sociales proches des humains.
Il y a peu de récits interstellaires au Moyen-Age… visiblement, Dieu a le monopole des espaces qui n’étaient pas encore conçus comme étant infinis. Tout se passe dans les sphères célestes qui sont censées maintenir chaque planète sur un support rigide tournant autour de la Terre, centre incontesté. Prophètes et saints ou familles divines ont parfois le privilège d’envols privés. Le XVIIIe siècle nous sortira quelques voyages dans les planètes, mais qui resteront souvent de pâles copies des récits utopistes tels que ceux de Savinien Cyrano de Bergerac dans ses “Voyages aux États et Empires de la Lune et du Soleil” (1657).

Au début du XIXe siècle, le meilleur du voyage spatial est sous la plume des poètes, de Victor Hugo à Edgar Allan Poe… mais il n’y a pas encore de quoi sortir un rayon laser pour “buter” un gros truc visqueux à dix-sept yeux !
Jules Verne, qui nous avait “fourgué” en 1864 des hommes préhistoriques de cinq mètres de haut gardant des mammouths au centre la Terre et autres champignons géants, ne nous fait même pas poser le pied sur la Lune en trois récits spatiaux (bon, certes, voyager sur un astéroïde dans l’un d’eux, c’était pas trop mal !).
Non, pour ce qui est des extraterrestres aux formes et fonctionnements biologiques dignes des créatures marines photographiées par Philippe Martin ou par Laurent Ballesta, autre célébrité héraultaise de l’image naturaliste, il faudra attendre un célèbre auteur anglais… Devinez lequel, en attendant la deuxième partie le mois prochain !
Par Frédéric Feu