patrimoine

Rien qu’un petit tour…

Certains d’entre nous ont profité de quelques vacances pour pratiquer leur sport favori : lire des récits et des documentaires historiques voire visiter des lieux évoquant ces patrimoines (oui je sais, chacun son truc !).
Pour autant, ce qui peut être un dépaysement et un beau voyage temporel revigorant peut s’avérer, un casse-tête parfois insoluble.
Il est bien des sciences dont on parle peu, laissant s’exprimer rarement mais sans trop d’embûches les experts du domaine… Pas trop d’opposition populaire sur les exposés des astrophysiciens ou l’avancée des recherches en mathématiques. Juste quelques blagues ou questions parfois curieuses. Concernant l’Histoire, en revanche, aïe ! Je ne sais pas quelle fut la teneur du courrier reçu par le Midi Libre lors de sa rubrique plutôt intéressante de cet été sur les pirates et corsaires, mais je suppose qu’ils en ont vu de toutes les couleurs. Et il n’était sans doute pas aisé de rédiger un contenu estival sur une telle thématique qui ne suscite pas de petites polémiques. Comment parler d’un tel sujet sans évoquer de manière conséquente les velléités conquérantes et commerciales des empires, les raisons des croisades, les interprétations diverses du djihad qui animèrent l’empire ottoman et les ports barbaresques. Un seul petit sujet résume à lui seul la galère de vouloir comprendre et évoquer un sujet historique couvrant plus d’un millénaire dès lors que celui-ci peut avoir des échos partisans de nos jours. Selon moi, il est presque insensé de revendiquer la continuité directe et intacte d’une société, vision, philosophie, idéologie de plus d’une centaine d’années, tant il est vrai que les générations qui nous ont précédés sur cette « petite » période ont à elles seules connu des centaines d’événements et d’évolutions parfois contradictoires qui sont venus nourrir et modifier leur vision. On doit citer Lincoln comme étant l’un des pères de l’abolition de l’esclavage. Il serait risible pour tout historien de l’évoquer comme un défenseur de l’égalité entre la race blanche et la race noire car ce serait un anachronisme idéologique flagrant.
Pour exemple de ce conflit entre réalité historique et vision partisane ou au moins simpliste, je prendrais l’une de mes promenades renouvelées qui chaque année me fait aller visiter et découvrir l’histoire des tours de guet méditerranéennes. Même sur Wikipédia, voire sur Google dans son ensemble, je vous mets au défi de trouver un exposé clair sur ce thème.
Tout le pourtour méditerranéen a été littéralement couvert de tours de guets depuis que les royaumes et empires suffisamment organisés ont pu se protéger de leurs ennemis. Sans cela même, comment imaginer qu’une petite ville ou un village côtier n’ait pas l’initiative, au bout de quelques massacres, enlèvements et autres déboires par des « razzieurs » identifiés ou non, d’installer un poste de vigie côtière au moins en bois dans un endroit propice. Bien sûr, l’empire romain avec ses limes (sa défense des frontières) a structuré particulièrement sa défense, organisant de manière cohérente tours et autres fortifications, sur tous ses territoires côtiers. Et déjà, on parlait également de tours de transmission des signaux d’alerte installés plus à l’intérieur des terres pour renvoyer l’information vers des troupes plus conséquentes. C’est bien sûr au XVIe siècle que vont émerger surtout les tours que nous connaissons aujourd’hui, même si beaucoup semblent être placées sur des sites identifiés comme intéressants par leurs précédents défenseurs.
Trois grands groupes de tours sont aujourd’hui célèbres. Nous laisserons de côté celles nombreuses construites par les Anglais qui s’inspirèrent des réseaux qu’ils purent observer en Méditerranée. Les tours génoises en revanche (nombreuses en Corse) comme les tours de vigilance côtière de Charles Ier d’Espagne (Charles Quint) sont un vrai et passionnant casse-tête historique.
Il faudrait d’abord définir, ce que j’avais fait dans un précédent article de C le Mag il y a quelques années, les notions de pirate, corsaire et flotte régulière. Grosso-modo, pour simplifier, tout le monde est un peu tout à tour de rôle en fonction d’une guerre déclarée ou non à l’ennemi, d’un équipage payé/primé ou non sur les razzias et butins, de la volonté de conquérir ou de venger une précédente attaque et des enlèvements d’otages et d’esclaves par le même type d’action. Bien évidemment, de très nombreux textes montrent que les républiques de Gêne, Pise, Venise, les rois de Majorque, les Français, les Anglais, les Hollandais ont tous souvent mérité le titre de pirates, ont tous formé des coalitions avec des comptoirs d’Afrique du Nord, combattu la piraterie barbaresque autant qu’ils l’ont promue et parfois même financée contre leurs ennemis.
Inutile de dire, donc, que les tours de guet étaient d’un intérêt vital pour les populations qu’elles défendaient. C’est là que le bât blesse, chaque tour fut donc construite à une époque et souvent réutilisée ou reconstruite par les nouveaux occupants d’un territoire.
Ainsi la vérité presque jamais évoquée sur les documents touristiques est que dans le sud de l’Espagne, certaines furent romaines, puis wisigothiques, puis devinrent des « atalayas » contre les ennemis du califat de Cordoue (dont les Vikings). Puis lors de la « Reconquista » (la reconquête par les royaumes chrétiens), elles furent un atout essentiel du royaume catholique contre les petites mais très nombreuses incursions barbaresques et plus tard, rarement mais de manière beaucoup plus armée, le harcèlement des corsaires anglais. Il en découle pour moi, un vrai problème de communication sur le passé historique de ces tours.
En fait, en France, notre côte méditerranéenne fut entre autres, soumise tant aux attaques des pirates catalans, des corsaires génois, puis bien sûr des barbaresques et des Anglais. Nous « bénéficions » d’un ensemble de tours historiquement et architecturalement beaucoup plus hétéroclites que nos voisins, ce qui devrait permettre de raconter d’innombrables histoires passionnantes en les diversifiant. Et il serait temps de le faire.
Mais, dans ce qu’il est logique d’appeler aujourd’hui des « temps troublés » comme les nôtres, comment un (vrai) historien pourrait-il faire entendre la voix, non pas de la raison, mais de la vérité et produire une histoire non-partisane ? Tous les pays du pourtour méditerranéen se sont forgés une identité, des frontières, une histoire, puis une relative cohérence et pérennité sur un récit historique où l’autre est le méchant, où l’on est le peuple régulier et l’autre le pirate, où malgré l’enchevêtrement hallucinant d’événements, de décisions humaines plus ou moins pertinentes, la vengeance, la reconquête, la méfiance de chacun est justifiée par le récit officiel… Exit les vraies et multiples raisons des croisades et des attaques barbaresques, exit la différence entre la guerre déclarée et les usages propres (ou plutôt sordides) aux armateurs, financeurs et soldats intéressés au butin, exit le fait que l’éducation populaire est justement là aussi pour changer les mentalités, ouvrir l’esprit, permettre d’être critique et objectif.
Comme disait Audiard « Planquons les motifs de fâcheries ».
Par Frédéric Feu