Le faux-dilemme, sophisme préféré des protecteurs ?

Connaissez-vous le “faux-dilemme”, parfois aussi nommé
“fausse alternative” ? Selon l’excellent site Cortecs, cette méthode « consiste à n’offrir que deux alternatives déséquilibrées en omettant toute autre alternative pourtant possible. Il peut s’agir de réduire le choix à deux alternatives qui ne sont pas réellement contradictoires. Au final, le choix est confisqué et la décision étriquée.» 

C’est un des sophismes parmi les plus utilisés chez les protecteurs. 

Trois exemples ci-dessous :

• Sur le site de L’enfant Bleu, association luttant contre l’enfance maltraitée, le conseil donné est le suivant : « Mieux vaut signaler les soupçons que vous pouvez avoir sur la sécurité physique et morale d’un enfant, au risque de vous tromper, plutôt que de laisser un enfant dans l’enfer de la maltraitance et ainsi risquer sa vie. » https://enfantbleu.org/je-suis-temoin-de-maltraitances-sur-un-enfant/

Ici, l’alternative est celle du signalement contre le rien du tout, avec une belle accentuation de la culpabilisation : d’un côté, vous qui avez peur de vous tromper, en face « un enfant dans l’enfer de la maltraitance » au risque de sa vie.

• Après l’attentat à la Préfecture de Paris, sur le sujet de détection des personnes potentiellement radicalisées violentes, un expert de la sécurité publique, sur une radio : « Mieux vaut soupçonner et signaler les personnes dès qu’il y a des signaux faibles plutôt que se retrouver avec un terroriste qui fait des victimes » .

Ici, le soupçon au moindre signal faible est opposé à l’attaque terroriste réalisée.

• Lors d’un groupe de travail sur les violences conjugales, une magistrate explique comment avec l’aval de certains procureurs, des médecins passent outre la loi en matière de secret professionnel pour signaler des situations de femmes victimes de violence conjugale mais sans l’accord de celles-ci (condition imposée par la loi). Lorsque j’objecte que c’est ramener ces femmes à l’état de mineures, la magistrate réplique en disant : « qu’est-ce qu’on fait alors, on les laisse se faire tuer ?»

Là, le faux dilemme repose sur, d’un côté un signalement en dehors des possibilités légales et au-delà de la déontologie, et de l’autre l’image de femmes que l’on abandonne à leur bourreau qui va les tuer. 

Dans ces trois cas, si vous acceptez l’alternative proposée dans l’énoncé des protecteurs, vous n’avez plus le choix de la décision : elle est évidente. Signaler car il semble que cela soit la seule solution. En effet, le choix de la première (signaler) semble éliminer de facto la possibilité de la seconde (mort, maltraitance, assassinat). Comment ne pas la saisir comme une chance de ne pas porter sur vos épaules la responsabilité du drame annoncé ? On oublie d’ailleurs que les deux solutions proposées peuvent être aussi mauvaises l’une comme l’autre…

En fait, si la réponse apparaît comme une solution, ce n’est pas parce que c’est la solution la plus adaptée au problème. C’est surtout parce qu’elle est une issue, la seule issue au piège qui vous est tendu dans l’énoncé.

Sortir du piège du faux-dilemme. Comment se sortir de cette illusion qui, en les réduisant à deux, simplifie à outrance les possibilités de comportement ? En repérant le faux dilemme d’abord. Puis en cherchant si des alternatives fécondes existent. Et, surprise, c’est parfois voire souvent le cas !

Ainsi, surtout pour les professionnels, on peut tout à fait efficacement agir en intervenant directement dans la situation plutôt qu’en la signalant. Le travail autour d’un scénario de protection avec les personnes victimes de violence dans leur couple leur permet d’adopter des stratégies souvent plus efficaces qu’un signalement à l’autorité judiciaire. Le fait d’aborder la question de la violence éducative avec un parent aux comportements inadaptés voire maltraitants avec son enfant constitue fréquemment une étape bien plus productive pour la protection de l’enfant que nombre d’informations préoccupantes adressées aux cellules de recueil des IP (Information Préoccupante).

Le faux-dilemme est donc un escape game mental dont il est impératif de savoir s’échapper !

Par Laurent Puech

Laurent Puech est assistant social, formateur spécialisé sur le secret professionnel et le partage d’informations et animateur d’analyse de pratiques professionnelles (APP). https://www.protections-critiques.org

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