les perles philos du bac

Comment-est-il possible que des lycéens se fourvoient à ce point ? Comment-est-il possible d’oublier si vite les douleurs de notre passé ?
Tentons de comprendre nos «histoires» et d’y apporter un éclairage philosophique avec Nietzsche.

Quelques perles trouvées dans des copies de philo ces dernières années.
Sur le sujet
« Que gagne-t-on à échanger », la fin de la copie : « Effectivement on peut être trompé par un contrat. Les juifs par exemple ont été trompé par Hitler. Il leur a promis du travail s’ils acceptaient de venir dans un camp. A l’entrée du camp étaient marqué “le travail rend libre”. Mais quand ils sont arrivés les juifs n’ont pas eu de travail. Ils n’y ont vu que du feu ! »

Sur le sujet « La conscience de l’individu n’est-elle que le reflet de la société à laquelle il appartient ? » : « Et c’est ce qui s’est passé lors de l’élection d’Hitler en chancelier en 1933. L’Allemagne est sur le déclin et les gens perdent confiance et foi dans cette société, personne n’arrive à faire remonter la pente à l’Allemagne. Hitler utilise alors un discours pertinent qui redonne envie au peuple de se battre et c’est comme cela qu’il a remodelé une conscience positive dans la tête des gens. Ils utilisa tout de même des méthodes pas légales comme la propagande mais il reforma une Allemagne forte (mis à part des actes de nazisme dans cette copie). »

Sur le sujet « La culture nous rend-elle meilleurs ? » : « Cela est tangent. Elle peut très bien nous rendre meilleurs que très mauvais au niveau des émotions. Hitler est le parfait exemple. Grâce à sa culture et la connaissance, il a réussi à obtenir le Prix Nobel de la Paix. Et quelques années plus tard il est devenu le pilier du Troisième Reich [….] ».

Inutile de préciser que tous ces extraits sont strictement authentiques, provenant de candidats et de sections très différentes les unes des autres. Cela peut laisser songeurs… si nous voulons rester dans l’euphémisme. Nous assistons tout doucement à une amnésie sur ce qu’il s’est passé il y a à peine 80 ans et il est fort à parier que dans quelques années un leader de la droite identitaire n’hésitera plus à se revendiquer de l’héritage de Hitler sans que cela ne choque plus personne. Mais que s’est-il donc passé pour que nous en soyons arrivés là ? Tous ces élèves ont eu pourtant des cours d’histoire précis et clairs. Mais cela ne suffit plus. La mémoire collective joue son rôle et efface les stigmates du passé alors que la dépouille d’Elie Wiesel est à peine inhumée.

Nietzsche avait déjà abordé cette question il y a 145 ans, à travers son livre Seconde Considération Intempestive. Selon lui l’histoire est un poison. Un poison qui nous rend malade. Heureux est le mouton qui oublie chaque matin l’herbe dont il s’est repu la veille. Il oublie et ne vit que l’instant. L’homme au contraire plie sous le poids des souvenirs et cela nuit à ses capacités de créations et d’actions. Trop de mémoire inhibe les facultés plastiques de l’humanité, c’est-à-dire le désir de créer de nouvelles formes de sociétés. « Le plus petit comme le plus grand des bonheurs sont toujours créés par une chose : le pouvoir d’oublier »* Cette première lecture du philosophe allemand semble donc donner raison à nos élèves : jetons aux orties ces vieilles histoires rabâchées depuis près d’un siècle et ouvrons-nous à la créativité d’un monde nouveau.

Sauf que l’affaire est un tout petit peu plus complexe…. Si l’histoire, pour Nietzsche est un poison, comme n’importe quelle autre molécule active, à faible dose, avec une posologie mesurée elle peut servir de médicament, telle la morphine qui calme nos douleurs. L’histoire peut nous soigner, nous sauver d’un certain nombre de pathologies. Il suffit de savoir ce que l’humanité veut faire de ses souvenirs. Nietzsche va élaborer une sorte de pharmacopée basée sur la mémoire et l’usage qu’elle fait de l’histoire. Tout comme il peut exister des traitements pour chaque symptôme, il existe trois histoires, une monumentale, une autre antiquaire et la troisième critique, qui vont répondre à des formes d’angoisse dans la conscience collective. L’histoire monumentale est celle qui donne du baume au cœur, qui fait l’éloge de certaines parties du passé pour donner du courage au peuple qui doit affronter le présent. Cette histoire sélectionne donc des images et les élève au rang de modèle. Tel fut le rôle de Jeanne d’Arc, de la Révolution Française, du général de Gaulle, et peut-être demain de la figure de Michel Rocard. Cette histoire sert à guérir de la peur et de la dépression, pour redonner la force de se lancer dans la bataille ! « L’homme conclut que le sublime qui a été autrefois a certainement été possible autrefois et sera par conséquent encore possible un jour » écrit Nietzsche. L’histoire comme cure de vitamine !

L’histoire antiquaire, elle, ne fait aucun tri. Elle garde tout, collectionne tout, y compris le plus insignifiant objet du quotidien, à condition qu’on ait pu s’assurer de son authenticité. « Le fait que quelque chose est devenu vieux engendre maintenant le désir de le savoir immortel » explique Nietzsche. C’est l’histoire des musées et des reconstitutions. C’est celle qui nous pousse à passer des heures à lire les lettres des Poilus à Verdun et à visiter la (fausse) grotte Chauvet en Ardèche. Cette histoire sert à maintenir nos racines, car nous avons besoin de savoir qui nous sommes, d’où nous venons, pour calmer nos angoisses. Une angoisse qui par définition n’a pas d’objet précis, contrairement aux peurs, mais qui peut nous paralyser. L’histoire comme anxiolytique.

L’histoire critique, quant à elle, se construit contre le passé, contre l’héritage de son peuple, contre les erreurs et les crimes du passé. C’est cette histoire qui pousse l’Allemagne à ne pas oublier le nazisme, pour montrer que cette nation moderne a conscience à la fois du poids du passé et de la culpabilité qui en découle, mais est capable de se tourner vers l’avenir en accueillant des populations de réfugiés désespérés. C’est aussi l’histoire de la France qui commémora les 170 ans de l’abolition de l’esclavage dans ses colonies en 2018 et qui affronte le rôle qu’a joué l’État dans la collaboration durant la Seconde Guerre mondiale. Cette histoire est nécessaire pour trancher, couper avec le passé et construire une identité pour une nation meilleure. L’histoire comme thérapie de groupe !

Quelle est la meilleure histoire ?
Nous ne pouvons pas le dire. Mais remarquons qu’il n’existe pas d’histoire totale. Chaque histoire n’est que découpage, partie, morceau choisi en vue de répondre à un problème de conscience, pour soulager des douleurs inhérentes au présent. L’histoire totale, narrative, qui aurait l’ambition juste de décrire les faits réels, tels qu’ils se seraient passés, en un mot la vérité sur le passé, n’existe pas. L’histoire n’est jamais qu’une interprétation dont les motivations précèdent les choix. L’érudition historique n’intéresse qu’un tout petit cercle. La majorité de la population ne retire de l’histoire que ce qui peut la soulager dans sa tentative d’agir et de préparer l’avenir. L’histoire est tordue, malaxée, mélangée, arrangée, parfois réécrite pour produire des mythes.

Et nos élèves ?
A quelle catégorie appartiennent-ils ? Comment peut-on justifier qu’ils oublient à ce point l’une des figures les plus importantes du siècle dernier et qu’ils travestissent totalement ce qu’il a fait ? Est-ce une forme d’amnésie, ou est-ce le retour d’idées nationalistes et identitaires qui feront l’éloge du national-socialisme transformant le Führer en mythe transcendant leurs angoisses ? Deux réponses possibles : soit effectivement ils préfigurent ce mode de pensée et cela fait froid dans le dos ; soit ils témoignent de la maladresse d’une pensée qui se prend les pieds dans le tapis des concepts historiques. Mais quoi qu’il en soit il faut prendre au sérieux cette maladie qui apparaît et faire de l’histoire une nécessité pour un peuple : ne jamais oublier la tragédie du passé.

Par Christophe Gallique

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