fossile

Le passé sans faux cils…

9h : mon téléphone sonne. J’identifie le rédacteur en chef de C le MAG, qui a besoin de mes services. Ma mission, si je l’accepte, est de suivre une animation scolaire au magnifique Musée Fleury de Lodève, accompagnée par Stéphane Fouchet qui est, entre autres, le responsable ayant conçu le circuit de visite de la partie scientifique du musée…

Tout médiateur le sait, le problème de la présentation de faits logiques, historiques, scientifiques… est qu’ils sont rarement d’emblée très jouissifs pour le public. Surtout lorsque, élève, vous avez une dizaine d’années et que vous êtes très observé sur vos capacités de concentration et de discipline dans une semi-obscurité durant plus d’une heure de déambulation !

Je me glisse contre le mur du fond de la première salle du parcours sur l’évolution géologique et paléontologique du Lodévois, alors que la classe de CM1-CM2 de M. Lazare Reznik de l’école élémentaire César Vinas de Lodève est attentive aux premières paroles de M. Fouchet. Il va lui-même guider plus d’une vingtaine de garçons et filles dans une scénographie qui multiplie les centres d’intérêts. Je passerai sur tous les détails d’un parcours que soit vous avez déjà vu, soit que vous allez découvrir prochainement. Peu d’institutions dans l’Hérault ont bénéficié de soins et de moyens qui méritent autant le détour, même si l’on n’a aucune disposition naturelle pour identifier à l’œil nu les empreintes de telle ou telle créature disparue depuis des millions d’années.

La visite se poursuit d’écrans de projection en vitrines, d’interactivités numériques en reconstitutions, et les enfants découvrent avec autant d’étonnement que moi-même cette mer de 200 millions d’années couvrant jadis l’emplacement actuel du lac du Salagou – qui, rappelons-le, malgré sa beauté et ses écosystèmes exceptionnels, est aussi récent qu’artificiel.

M. Fouchet indique la nature de ce qu’il montre : est-ce l’objet découvert ou sa reconstitution ? Et, s’agissant d’un fossile : comment ce témoignage minéral peut refléter une vie antérieure ? Quand on en vient aux empreintes de dinosaures ou d’autres espèces qui leurs sont contemporaines ou les ont précédées, telles que le dimétrodon. On parle d’empreintes et de contre-empreintes, de moulages récents et de surmoulages, avec comme objectif de faire comprendre ce qu’est une preuve scientifique.

Oui, nous avons l’indication précise et indiscutable que des espèces ont vécu ici il y a des millions d’années. Oui, notre territoire, comme nombre d’autres aux noms porteurs de rêves (Amérique, Groenland, Océanie…), a des particularités géologiques et biologiques qui ont de quoi émouvoir. On y a trouvé un puceron, qui recule considérablement l’époque que l’on avait supposé d’émergence de ces espèces, un organe de stridulation qui montre que grillons et criquets avaient déjà une proche cousine capable de chanter lorsqu’ils ne le pouvaient pas encore… des individus découverts parfois dans des couches sédimentaires que l’on disait « azoïques ». Ce qui signifie tout simplement : « couches sans témoignage d’une vie animale ».

Visiblement le guide a réussi à éveiller la curiosité des jeunes élèves : ces documents montrés sont des preuves ! Cela peut paraître évident pour nombre d’entre nous, mais il n’y a pas que les délires créationnistes d’arnaqueurs pseudo-intellectuels, parfois ingénieux, qui mettent en danger la capacité des populations actuelles à observer le monde avec un regard rationnel. Le simple fait que nous soyons sur Terre si nombreux, ouvre une porte gigantesque au besoin de copies, de modélisations, d’interprétations, qui passent par des reconstitutions depuis des fac-similés précis jusqu’à des créations d’interprétation tentant de suivre des hypothèses logiques.

Nous vivons non plus à l’ère de l’image mais à l’ère de sa profusion telle qu’on a du mal parfois à distinguer le vrai du faux, le réel du virtuel. En science, le virtuel est bien souvent l’opposé de ce qu’il est dans le reste des activités humaines. Il est un outil de compréhension de vérités alors qu’au cinéma, dans les jeux vidéo, etc. il est au contraire une extraordinaire technique pour créer ce qui n’existe pas : se libérer de la vérité et du rationnel.

L’une en particulier attire l’attention : une belle bestiole dont le squelette reconstitué de plus de 4,50m appartient à la famille éteinte des Caséidés, dont on connaissait déjà la présence sur des territoires des Etats-Unis. L’importance de la découverte et la nécessaire relation avec des chercheurs d’autres pays, ralentissent obligatoirement l’impeccable publication scientifique qui doit être réalisée. Elle permettra de connaître le nom de l’animal et le maximum de détails précis mis à la disposition de la communauté scientifique. Bien sûr, dans l’attente de cette fameuse publication, le nom reste secret. Il se dit qu’il devrait être choisi de lui intégrer significativement une appellation valorisant notre territoire. Comme c’est souvent le cas cette première publication sur ce proche cousin du Cotylorhynchus trouvé en Oklahoma marquera l’antériorité de la découverte par ses « inventeurs ».

Alors que notre guide montre les empreintes d’une grande parcelle de terrain reflétant les marches d’un dimétrodon et d’un eryops, il faut se reporter à deux bornes pour voir les animaux représentés en animation effectuer la déambulation reconstituée. Peu de visiteurs comprennent, sans cela, que les poursuites lumineuses qui éclairent le terrain montrent en fait les cheminements précis qu’effectuèrent ces animaux. Peu également doivent prendre la notion de leur taille car, concernant le dimétrodon il s’agit d’un individu de 2,50 m de long, possédant le corps d’un petit varan, et non pas de monstres gigantesques comme on peut en voir dans des films de science-fiction vintage aux reconstitutions très approximatives.

La visite fut donc clairement dans la même veine que la scénographie : une performance de précision scientifique à la portée du jeune public qu’elle souhaitait toucher. Pour autant, l’évolution du discours dans le temps est relativement prévisible car il y a deux écoles : l’une, celle-ci, base avant tout la médiation sur une formulation optimale de ce qu’une communauté scientifique et des collectionneurs ont souhaité raconter au public (ce qui suppose d’aborder d’emblée et de force pour la cohérence du discours certains faits rarement ludiques ; l’autre, s’inspirant d’abord des aspirations du public, des questionnements, des erreurs… utilise ce diagnostic hétéroclite pour donner au public ce qu’il a envie de voir avant tout, tout en le piégeant constamment par des explications précises sur des données scientifiques même ardues durant ce temps de « captivité captivante». En général, un nouveau musée a choisi l’une des deux options pour commencer, et évoluera dans le temps en se rapprochant de l’autre. Heureusement, d’ailleurs, sinon tous les musées thématiques seraient identiques !

Et m’amusant pour conclure à plagier, copiant et collant mon ami Christophe Gallique : « Le musée offre un lieu pour découvrir, voir, apprendre. Soyez en certains c’est un privilège lié à notre civilisation moderne. Après tout elle n’a pas tant de qualités, autant profiter de celles qui s’offrent à nous. » (bises, Christophe).

Par Frédéric Feu (CIST)