différence

Le cinéma fait la différence

 

Un événement dédié au 7e art et au respect de la différence

La première édition des rencontres cinématographiques de la diversité (CinéDiversité) a eu lieu du 23 mars au 1er avril 2017. Cet événement inédit organisé par l’ACCES et Cinémas2L, s’est déroulé au Cinéma Lutéva, au Clap, à la salle des rencontres de l’hôtel de ville et à Opus Apus avec de merveilleux films valorisant la diversité sous toutes ses formes.
De la fiction au documentaire, du film d’animation au cinéma expérimental, le public était convié à la découverte des différentes facettes du septième art. Avec des films à la qualité artistique indéniable comme Moonlight de Barry Jenkins (Oscar 2017) ou encore Félicité du franco-sénégalais Alain Gomis (Ours d’argent à la Berlinale 2017), le cinéma d’auteur était à l’honneur. Moonlight aborde avec brio la construction de la personnalité d’un jeune afro-américain issu des quartiers défavorisés de Miami. Comment se façonne l’identité d’un jeune noir aux États-Unis face aux multiples freins sociaux ? La violence, la drogue, l’éducation de seconde zone qui laissent la jeunesse vulnérable face aux multiples agressions de la faune urbaine. Construit sur trois tableaux avec des acteurs différents interprétant le personnage à des étapes différentes de son existence, le film de Barry Jenkins offre un portrait édifiant des victimes de l’apartheid américain. Il décrit avec élégance le vécu de ce personnage fragile, victime de brimades à cause de son orientation sexuelle. Moonlight permet aussi de s’interroger sur l’héroïsme au quotidien d’hommes et de femmes ordinaires qui posent des actes extraordinaires dans des situations dramatiques nées de la relégation urbaine. En résonance avec ce drame qui se déroule outre-atlantique, Félicité du franco-sénégalais Alain Gomis programmé en avant première, dressait le portrait d’une mère courage, chanteuse de cabaret le soir au sein du Kasaï Allstars et femme débrouillarde le jour pour se frayer une vie dans la faune de Kinshasa (capitale de la République démocratique du Congo). Ce long-métrage a remporté l’Ours d’argent au festival de Berlin cru 2017 et ce n’est que juste récompense tant Félicité recèle de merveilles cinématographiques.
Le synopsis du film met en scène les pérégrinations d’une femme, libre et fière, noctambule, artiste de bar. Sa vie bascule quand son fils de 14 ans est victime d’un accident de moto. Pour le sauver, elle se lance dans une course effrénée à travers les rues d’une mégapole électrique, un monde de musique et de rêves. La transe musicale se mêle au réalisme dans une symphonie pour la survie. Le réalisateur fait de son personnage principal une héroïne de la résilience qui survole à force de persévérance le désastre ambiant. « Des femmes comme elle, j’en connais beaucoup, et on en rencontre aussi bien à Dakar qu’à Kinshasa » rappelle Alain Gomis dans une interview donnée à l’hebdomadaire Jeune Afrique, « elles sont fortes, font face aux coups qu’elles reçoivent dans la vie quotidienne, avancent avec des convictions, refusent les petites compromissions, disent plus souvent non que oui, prennent le risque de s’isoler car on leur reproche de n’en faire qu’à leur tête. Pour moi, elles incarnent à leur manière la droiture, la morale. Mais, on le voit bien avec Félicité, ce sont des femmes qui peuvent avoir maille à partir avec leur orgueil, qui doivent apprendre à aimer. À accepter la vie. »
Les rencontres cinématographiques de la Diversité (CinéDiversité) se sont attelées à susciter la curiosité avec Madagascar Kolosary, trésor du cinéma malgache, un florilège (11 films) de l’avant-garde cinématographique de ce pays. En effet, CinéDiversité a pour objectifs de déconstruire les représentations, de mettre en exergue la qualité artistique des cinématographies peu diffusées mais également de créer du lien social à travers les débats qui accompagnent les films. Les protagonistes du documentaire politico-comique la cigale, le corbeau et les poulets d’Olivier Azam, par leur engagement militant singulier et leurs convictions, ont ravi le public après la projection du film. Leur histoire valait le détour. En 2009, des balles de 9 mm, accompagnées de lettres de menaces, parviennent à Nicolas Sarkozy. La police enquête. Très vite, elle remonte vers le bureau de tabac d’un petit village de l’Hérault, Saint-Pons-de-Thomières. Mille fonctionnaires travaillent sur ce dossier pendant six mois : filatures, écoutes, perquisitions. Un buraliste, un plombier, un troubadour et un charcutier sont injustement interpellés. Leur point commun : ils n’ont pas pour habitude de se laisser faire, qu’il s’agisse du centre de stockage de déchets, des éoliennes industrielles ou des pesticides. Ce sont de véritables Don Quichotte qui par leur engagement humaniste et sans faille nous revigorent.
La tolérance, le respect de la différence et l’interculturalité étaient au programme des courts-métrages diffusés aux lycéens, aux collégiens ainsi qu’aux élèves des écoles Prosper Gely, César Vinas et de la maternelle Fleury pour rappeler que la jeunesse était au cœur de ces rencontres cinématographiques avec notamment Swagger d’Olivier Babinet, un somptueux long-métrage tourné avec des collégiens d’Aulnay sous Bois. Olivier Babinet a réalisé un travail d’approche pendant deux ans pour être accepté par les protagonistes de son film. « On a travaillé pendant deux ans à faire des courts-métrages sur divers sujets puis j’ai eu envie de réaliser un clip avec eux, de les traiter comme des héros de film », confie-t-il au quotidien 20 minutes. « De là est née l’idée de ce long-métrage destiné à leur donner la parole. Les collégiens n’hésitent pas à parler évoquant leurs épreuves familiales et scolaires comme leurs aspirations profondes. »
De la jeunesse en phase avec la vie, telle qu’elle s’exprime en banlieue, des mots, des aveux, des confessions de personnalité en devenir. Le réalisateur Olivier Babinet réussit le tour de force de les mettre en confiance et de révéler, chose inédite, leurs rêves, leurs aspirations sans sombrer dans le pathos ou l’analyse sociologique. L’onirisme rencontre la force d’un cinéma qui scrute chaque recoin, qui sonde les mystères nocturnes d’Aulnay attisant la curiosité du regard. Le réalisateur nous ouvre les portes de l’univers singulier de ses onze petits héros si sympathiques qui font le pied de nez au désenchantement. Le critique cinématographique Jean-Michel Frodon reconnaît l’art de filmer sans complaisance du réalisateur qui a su s’adapter à l’environnement des jeunes pour mieux mettre en valeur leur état d’être et leurs propos. La violence, la délinquance, les trafics, la misère sont là, eux aussi. Ils ne sont jamais un spectacle. Ils sont une, ou plutôt des réalités, des composants d’un monde dont la complexité ne sera jamais évacuée.
Swagger traduit les vertus multiples de l’extraordinaire média populaire qu’est le cinéma. Il est synonyme d’ouverture, de curiosité et de découverte de l’autre, une fenêtre sur le monde, qui aide à se construire autour de valeurs humanistes. CinéDiversité avait pour ambitions de susciter le dialogue intergénérationnel afin de transmettre aux plus jeunes une conception de l’art empreinte. Après les films, susciter le débat autour de sujets comme l’altérité, relations filles-garçons, représentation et image de la femme, famille, sport, tradition et modernité… il s’agit de célébrer un cinéma empreint de pluralité à l’image de la diversité de la société française. Durant la soirée Imaginaire d’Ici et d’ailleurs dédiée aux talents d’ici, Bruno Destael a présenté ses films Artistes en herbe puis scénographies digitales suivi par le tandem de réalisateurs indépendants Crok Brandalac et Rémy Bousquet qui partageaient avec le public leur dernier film Thaï Joe Style réalisé à Chiang Mai en Thaïlande.
Face au climat de crispations identitaires et à la montée des extrémismes, l’art redevient l’endroit de tous les possibles, le lieu de fabrique d’un destin commun, d’un récit de vie partagé. Les images d’une nation française plurielle, par leur puissance d’évocation, contribuent à déconstruire les représentations, à condition d’éviter les raccourcis pour œuvrer à un vrai dialogue. La culture convoque les émotions, une belle œuvre fraye avec le sensible, avec l’humain en chacun de nous et crée de l’empathie donc du lien social. Cela implique un engagement volontaire autour de propositions artistiques fédératrices qui font sens avec nos valeurs de civilisations. Un cinéma qui suscite le dialogue, l’ouverture d’esprit pour faire pièce aux artisans de l’étroitesse de vue, de la xénophobie et de son corollaire le repli identitaire. Comme l’indique à juste titre, le philosophe Edgar Morin, les humains doivent se reconnaître dans leur humanité commune, en même temps reconnaître leur diversité tant individuelle que culturelle comme une source de vitalité.

La prochaine édition des Rencontres Cinématographiques de la Diversité aura pour thème : « La comédie comme acte de résistance »

Par Soumaïla Koly