Toulouse Lautrec à Boussagues

La Maison du Bailli de Boussagues, un héritage du célèbre peintre Toulouse Lautrec.

Ce manoir construit entre le XIV et le XVIIe siècle était la demeure seigneuriale affectée au bailli.
Les textes parlent d’un bailli à Boussagues dès 1233. Il y représentait le seigneur en administrait les biens et rendait la justice en son nom. Ce village médiéval fortifié fut un grand centre politique des Hauts Cantons comptant plus de 1300 habitants en 1350. La maison fut la propriété durant des siècles de la famille d’Alichoux de Sénégra, co-seigneurs de Boussagues et Barons de Sénégra, Rocassels et autres lieux, dont le blason figure sur une dalle du chœur de l’église paroissiale du village. Les Sénégra furent dépossédés de leurs biens à la Révolution. Mais un de leurs héritiers Joseph Honoré de Sénégra racheta le manoir vers 1860. Il réalisa des travaux intérieurs et décida d’ouvrir une école pour jeunes filles tenue par des religieuses tout en occupant le deuxième étage pour sa retraite. Décédé avant son installation, c’est sa nièce et héritière Armandine de Sénégra qui mettra à exécution le projet de son oncle Joseph Honoré de Sénégra.

Cette école chrétienne fonctionna environ 50 ans. En 1894, elle légua la propriété à son petit neveu Henri de Toulouse Lautrec, peintre célèbre de la fin du XIXe siècle. Il n’y vint jamais mais en connaissait la description. Dans un de ses courriers il écrivait : « Je peux bien m’amuser et tout me permettre puisque maman entretient dans notre vieille tour de Boussagues des nonnes dont la principale fonction est de prier pour le salut de mon âme et qui montent et descendent dans leur donjon comme grenouilles dans un bocal ». A la mort du peintre, le manoir revint à sa mère, Adèle, Comtesse Alphonse de Toulouse Lautrec Monfa.

Le spectre de ce grand peintre est-il présent dans ce manoir ? Voici la légende : Les religieuses étaient en charge de l’école, mais aussi, plus tard, de prier pour l’âme de Henri de Toulouse Lautrec, à la vie parisienne dissolue… Après la mort du peintre (1901), deux sœurs restèrent dans le manoir jusqu’à leur mort. La dernière, Sœur Delphine, eut plusieurs fois en 1914, l’apparition d’un homme lui faisant le signe de la soif. Après plusieurs refus, cet homme cassa le cadran de l’horloge de la pièce et en tordit de rage le balancier et s’en fut. Le récit et la description de cet homme qu’elle fit à la mère du peintre puis au curé du village, rappela étrangement la tenue et l’allure physique caractéristique du peintre qu’elle n’avait pourtant jamais vu ! Le curé du village confirma le dommage sur l’horloge, redressa le balancier et attesta que ce ne pouvait pas être la force de la sœur qui avait pu le tordre ainsi. Il fut chargé de nouvelles prières pour l’âme du peintre !

A la mort de Sœur Delphine, le manoir fut fermé et resta vide de nombreuses années jusqu’à sa vente en 1941 à un natif de Boussagues, Gabriel-Alphonse Duch. Pratiquement en ruine alors, il le sauva d’un effondrement prématuré en réparant provisoirement la toiture grâce à un maçon connaissant ces toitures anciennes, en lauzes, et qui travailla en échange de bidons d’essence (c’était la guerre avec son lot d’économie parallèle). La partie sud du toit s’effondra en 1955, emmenant le plancher de l’étage au niveau inférieur, laissant deux trous béants. La restauration complète du manoir fut alors engagée et demanda une vingtaine d’années. Toutes les zones faibles furent renforcées progressivement : injections de ciment et tirants dans les murailles, ferrures incorporées aux portes, aux linteaux de pierre cassés, charpentes toutes contrôlées, sols refaits à l’identique, fenêtres, boiseries et cheminées restaurées. Elle put être équipée d’un confort moderne à partir des années 1970 et reste une résidence privée.
Daniel Pierson, descendant de Gabriel-Alphonse Duch, passionné par ce riche patrimoine familial, décida, il y a 4 ou 5 ans lors de son départ en retraite de le mettre en valeur. Il a frappé à toutes les portes pour que soit inscrit à l’inventaire des monuments historiques la maison du Bailly, voilà qui est fait cette année.
Une sympathique cérémonie en présence des élus et du député de la 5e circonscription, Philippe Huppé, (aussi intervenant dans C le Mag) marqua cet événement mi-avril. La communauté de communes Grand Orb sollicitée pour soutenir ce projet a accepté la mise en place d’une signalétique adaptée aux abords du village pour indiquer les lieux emblématiques du village. Cette inscription permettra son ouverture partielle au public en été, notamment dans le cadre des visites guidées bi-hebdomadaires organisées par l’association des Amis du Vieux Boussagues. C’est ainsi la reconnaissance du passé historique de ce lieu et plus largement du village de Boussagues

Une visite s’impose. Il est, paraît-il, possible d’apercevoir fugitivement la silhouette de Toulouse-Lautrec un verre d’absinthe à la main à l’angle de la bibliothèque ou dans le salon de réception où sont exposées quelques lithographies de l’artiste.

Par Jean-Philippe Robian

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